Déjà la nuit au calice des fleurs
Verse la perle et l’ambre de ses pleurs ;
Aucun zéphyr n’agite le feuillage.
Sous un berceau, tranquillement assis,
Où le lilas flotte et pend sur ma tête,
Je sens couler mes pensers rafraîchis
Dans les parfums que la nature apprête.
Des bois dont l’ombre, en ces prés blanchissants,
Avec lenteur se dessine et repose,
A ce penser défaillit mon courage.
Je vous salue, ô vallons que je perds !
Ecoutez-moi : c’est mon dernier hommage.
Loin, loin d’ici, sur la terre égaré,
Je vais traîner une importune vie ;
Mais quelque part que j’habite ignoré,
Ne craignez point qu’un ami vous oublie.
Oui, j’aimerai ce rivage enchanteur,
Ces monts déserts qui remplissaient mon coeur
Enveloppait les champs silencieux ;
Par le nuage étaient voilés les cieux :
Je m’avançais vers la pierre grisâtre.
Du haut d’un mont une onde rugissant
S’élançait : sous de larges sycomores,
Dans ce désert d’un calme menaçant,
Roulaient des flots agités et sonores.
Le noir torrent, redoublant de vigueur,
Entrait fougueux dans la forêt obscure
Mêlent leurs bords dans les ombres chenues.
En scintillant dans le zénith d’azur,
On voit percer l’étoile solitaire :
A l’occident, séparé de la terre,
L’écueil blanchit sous un horizon pur,
Tandis qu’au nord, sur les mers cristallines,
Flotte la nue en vapeurs purpurines.
D’un carmin vif les monts sont dessinés ;
Du vent du soir se meurt la voix plaintive ;
Déserts charmants, mon coeur, formé pour vous,
Toujours vous cherche en sa mélancolie.
A ton aspect, solitude chérie,
Je ne sais quoi de profond et de doux
Vient s’emparer de mon âme attendrie.
Si l’on savait le calme qu’un ruisseau
En tous mes sens porte avec son murmure,
Ce calme heureux que j’ai, sur la verdure,
Goûté cent fois seul au pied d’un coteau,
Tu plais au coeur de chagrins agité :
Quand de ton sein par les vents tourmenté,
Quand des écueils et des grèves antiques
Sortent des bruits, des voix mélancoliques,
L’âme attendrie en ses rêves se perd,
Et, s’égarant de penser en penser,
Comme les flots de murmure en murmure,
Elle se mêle à toute la nature :
Avec les vents, dans le fond des déserts,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestiges de mon coeur ! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons une douce tristesse :
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.
Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière
Ici, loin des humains !… Au bruit de ces ruisseaux,
Les plantes, leurs amours, leurs penchants inconnus,
L’humble mousse attachée aux voûtes des fontaines,
L’herbe qui d’un tapis couvre les vertes plaines,
Sur ces monts exaltés le cèdre précieux
Qui parfume les airs, et s’approche des cieux
Pour offrir son encens au Dieu de la nature,
Le roseau qui frémit au bord d’une onde pure,
Le tremble au doux parler, dont le feuillage frais
Remplit de bruits légers les antiques forêts,