L’infante, Léonor
L’infante
Hélas ! que dans l’esprit je sens d’inquiétude !
Je pleure ses malheurs, son amant me ravit;
Mon repos m’abandonne, et ma flamme revit.
Ce qui va séparer Rodrigue de Chimène
Fait renaître à la fois mon espoir et ma peine;
Et leur division, que je vois à regret,
Don Fernand, don Arias, don Sanche
Don Fernand
Le Comte est donc si vain et si peu raisonnable !
Ose-t-il croire encor son crime pardonnable ?
Don Arias
Je l’ai de votre part longtemps entretenu.
J’ai fait mon pouvoir, sire, et n’ai rien obtenu.
Don Fernand
Justes cieux ! ainsi donc un sujet téméraire
Don Fernand, don Sanche, don Alonse
Don Alonse
C’est assez pour ce soir. Sire, le comte est mort.
Don Diègue, par son fils, a vengé son offense.
Don Fernand
Dès que j’ai vu l’affront, j’ai prévu la vengeance;
Et j’ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Don Alonse
Don Fernand, don Diègue, Chimène, don Sanche, don Arias, don Alonse
Chimène
Sire, sire, justice !
Don Diègue
Sire, sire, justice ! Ah ! sire, écoutez-nous.
Chimène
Je me jette à vos pieds.
Don Diègue
Don Rodrigue, Elvire
Elvire
Rodrigue, qu’as-tu fait ? où viens-tu, misérable ?
Don Rodrigue
Suivre le triste cours de mon sort déplorable.
Elvire
Où prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil
De paraître en des lieux que tu remplis de deuil ?
Quoi ! viens-tu jusqu’ici braver l’ombre du comte ?
Don Sanche, Chimène, Elvire
Don Sanche
Oui, madame, il vous faut de sanglantes victimes:
Votre colère est juste, et vos pleurs légitimes;
Et je n’entreprends pas, à force de parler,
Ni de vous adoucir, ni de vous consoler.
Mais si de vous servir je puis être capable,
Employez mon épée à punir le coupable;
Chimène, Elvire
Chimène
Enfin je me vois libre, et je puis, sans contrainte,
De mes vives douleurs te faire voir l’atteinte;
Je puis donner passage à mes tristes soupirs;
Je puis t’ouvrir mon âme et tous mes déplaisirs.
Mon père est mort, Elvire; et la première épée
Dont s’est armé Rodrigue a sa trame coupée.
Don Rodrigue, Chimène, Elvire
Don Rodrigue
Eh bien ! sans vous donner la peine de poursuivre,
Assurez-vous l’honneur de m’empêcher de vivre.
Chimène
Elvire, où sommes-nous, et qu’est-ce que je vois ?
Rodrigue en ma maison ! Rodrigue devant moi !
Don Rodrigue
N’épargnez point mon sang; goûtez, sans résistance,
Don Diègue
Jamais nous ne goûtons de parfaite allégresse:
Nos plus heureux succès sont mêlés de tristesse;
Toujours quelques soucis en ces événements
Troublent la pureté de nos contentements.
Au milieu du bonheur mon âme en sent l’atteinte:
Je nage dans la joie, et je tremble de crainte.
J’ai vu mort l’ennemi qui m’avait outragé;
Don Diègue, don Rodrigue
Don Diègue
Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie !
Don Rodrigue
Hélas !
Don Diègue
Hélas ! Ne mêle point de soupirs à ma joie;
Laisse-moi prendre haleine afin de te louer.