Chimène, Elvire
Chimène
Elvire, m’as-tu fait un rapport bien sincère ?
Ne déguises-tu rien de ce qu’a dit mon père ?
Elvire
Tous mes sens à moi-même en sont encor charmés:
Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez,
Et si je ne m’abuse à lire dans son âme,
Il vous commandera de répondre à sa flamme.
L’infante, Léonor, un page
L’infante
Page, allez avertir Chimène de ma part
Qu’aujourd’hui pour me voir elle attend un peu tard,
Et que mon amitié se plaint de sa paresse.
(Le page rentre.)
Léonor
Madame, chaque jour même désir vous presse;
Et dans son entretien je vous vois chaque jour
Demander en quel point se trouve son amour.
Le Comte, don Diègue
Le Comte
Enfin vous l’emportez, et la faveur du roi
Vous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi,
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.
Don Diègue
Cette marque d’honneur qu’il met dans ma famille
Don Diègue
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu’avec respect toute l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Don Diègue, don Rodrigue
Don Diègue
Rodrigue, as-tu du cœur ?
Don Rodrigue
Rodrigue, as-tu du cœur ? Tout autre que mon père
L’éprouverait sur l’heure.
Don Diègue
L’éprouverait sur l’heure. Agréable colère !
Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Don Rodrigue
——Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle,
Et malheureux objet d’une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
———Cède au coup qui me tue.
—Si près de voir mon feu récompensé,
Don Arias, le comte
Le Comte
Je l’avoue entre nous, mon sang un peu trop chaud
S’est trop ému d’un mot, et l’a porté trop haut;
Mais puisque c’en est fait, le coup est sans remède.
Don Arias
Qu’aux volontés du roi ce grand courage cède:
Il y prend grande part, et son cœur irrité
Agira contre vous de pleine autorité.
Aussi vous n’avez point de valable défense.
Le Comte, don Rodrigue
Don Rodrigue
À moi, comte, deux mots.
Le Comte
À moi, comte, deux mots. Parle.
Don Rodrigue
À moi, comte, deux mots. Parle. Ôte-moi d’un doute.
Connais-tu bien don Diègue ?
L’infante, Chimène, Léonor
L’infante
Apaise, ma Chimène, apaise ta douleur,
Fais agir ta constance en ce coup de malheur,
Tu reverras le calme après ce faible orage,
Ton bonheur n’est couvert que d’un peu de nuage,
Et tu n’as rien perdu pour le voir différer.
L’infante, Chimène, Léonor, le page
L’infante
Page, cherchez Rodrigue, et l’amenez ici.
Le page
Le Comte de Gormas et lui…
Chimène
Le Comte de Gormas et lui… Bon Dieu ! je tremble.
L’infante