Don Diègue, don Rodrigue
Don Diègue
Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie !
Don Rodrigue
Hélas !
Don Diègue
Hélas ! Ne mêle point de soupirs à ma joie;
Laisse-moi prendre haleine afin de te louer.
Chimène, Elvire
Chimène
N’est-ce point un faux bruit ? le sais-tu bien, Elvire ?
Elvire
Vous ne croiriez jamais comme chacun l’admire,
Et porte jusqu’au ciel, d’une commune voix,
De ce jeune héros les glorieux exploits.
Les Maures devant lui n’ont paru qu’à leur honte;
L’infante, Chimène, Elvire
L’infante
Je ne viens pas ici consoler tes douleurs;
Je viens plutôt mêler mes soupirs à tes pleurs.
Chimène
Prenez bien plutôt part à la commune joie,
Et goûtez le bonheur que le ciel vous envoie,
Madame, autre que moi n’a droit de soupirer.
Le péril dont Rodrigue a su nous retirer,
Don Fernand, don Diègue, don Arias, don Rodrigue, don Sanche
Don Fernand
Généreux héritier d’une illustre famille,
Qui fut toujours la gloire et l’appui de Castille,
Race de tant d’aïeux en valeur signalés,
Que l’essai de la tienne a sitôt égalés,
Pour te récompenser ma force est trop petite;
Et j’ai moins de pouvoir que tu n’as de mérite…
Don Fernand, don Diègue, don Rodrigue, don Arias, don Alonse, don Sanche
Don Alonse
Sire, Chimène vient vous demander justice.
Don Fernand
La fâcheuse nouvelle, et l’importun devoir !
Va, je ne la veux pas obliger à te voir.
Pour tous remerciements il faut que je te chasse:
Mais avant que sortir, viens, que ton roi t’embrasse.
(Don Rodrigue rentre.)
Don Fernand, don Diègue, don Arias, don Sanche, don Alonse, Chimène, Elvire
Don Fernand
Montrez un œil plus triste. Enfin soyez contente,
Chimène, le succès répond à votre attente:
Si de nos ennemis Rodrigue a le dessus,
Il est mort à nos yeux des coups qu’il a reçus;
Rendez grâce au ciel qui vous en a vengée.
(À Don Diègue.)
Don Rodrigue, Chimène
Chimène
Quoi, Rodrigue, en plein jour ! d’où te vient cette audace ?
Va, tu me perds d’honneur; retire-toi, de grâce.
Don Rodrigue
Je vais mourir, madame, et vous viens en ce lieu,
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
Cet immuable amour qui sous vos lois m’engage
L’infante
T’écouterai-je encor, respect de ma naissance,
——Qui fais un crime de mes feux ?
T’écouterai-je, amour, dont la douce puissance
Contre ce fier tyran fait révolter mes vœux ?
——Pauvre princesse, auquel des deux
——Dois-tu prêter obéissance ?
Rodrigue, ta valeur te rend digne de moi;
Mais, pour être vaillant, tu n’es pas fils de roi.
Impitoyable sort, dont la rigueur sépare
L’infante, Léonor
L’infante
Où viens-tu, Léonor ?
Léonor
Où viens-tu, Léonor ? Vous applaudir, madame,
Sur le repos qu’enfin a retrouvé votre âme.
L’infante
D’où viendrait ce repos dans un comble d’ennui ?
Léonor
Si l’amour vit d’espoir, et s’il meurt avec lui,
Rodrigue ne peut plus charmer votre courage.
Vous savez le combat où Chimène l’engage;
Chimène, Elvire
Chimène
Elvire, que je souffre ! et que je suis à plaindre !
Je ne sais qu’espérer; et je vois tout à craindre;
Aucun vœu ne m’échappe où j’ose consentir;
Je ne souhaite rien sans un prompt repentir.
À deux rivaux pour moi je fais prendre les armes:
Le plus heureux succès me coûtera des larmes;