L’Avare ACTE III Scène 13
Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine, Brindavoine.
Brindavoine
Monsieur, il y a là un homme qui veut vous parler.
Harpagon
Dis-lui que je suis empêché, et qu’il revienne une autre fois.
Brindavoine
Il dit qu’il vous apporte de l’argent.
Harpagon
Je vous demande pardon. Je reviens tout à l’heure.
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière
L’Avare ACTE III Scène 14
Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine, La Merluche.
La Merluche courant et faisant tomber Harpagon.
Monsieur…
Harpagon
Ah ! je suis mort.
Cléante
Qu’est-ce, mon père ? Vous êtes-vous fait mal ?
Harpagon
Le traître assurément a reçu de l’argent de mes débiteurs pour me faire rompre le cou.
Valère à Harpagon.
L’Avare ACTE III Scène 15
Harpagon, Valère.
Harpagon
Valère, aie un peu l’œil à tout cela, et prends soin, je te prie, de m’en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.
Valère
C’est assez.
Harpagon seul.
Ô fils impertinent ! as-tu envie de me ruiner ?
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière
L’Avare ACTE IV Scène première
Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
Cléante
Rentrons ici; nous serons beaucoup mieux. Il n’y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
Élise
Oui, Madame, mon frère m’a fait confidence de la passion qu’il a pour vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses; et c’est, je vous assure, avec une tendresse extrême, que je m’intéresse à votre aventure.Mariane
C’est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne comme vous; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m’adoucir les cruautés de la fortune.
Frosine
Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l’un et l’autre, de ne m’avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous aurais, sans doute, détourné cette inquiétude, et n’aurais point amené les choses où l’on voit qu’elles sont.
L’Avare ACTE IV Scène 2
Harpagon, Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
Harpagon à part, sans être aperçu.
Ouais ! mon fils baise la main de sa prétendue belle-mère; et sa prétendue belle-mère ne s’en défend pas fort ! Y aurait-il quelque mystère là-dessous ?
Élise
Voilà mon père.
Harpagon
Le carrosse est tout prêt; vous pouvez partir quand il vous plaira.
Cléante
Puisque vous n’y allez pas, mon père, je m’en vais les conduire.
Harpagon
Non: demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j’ai besoin de vous.
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière
L’Avare ACTE IV Scène 3
Harpagon, Cléante.
Harpagon
Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette personne ?
Cléante
Ce qui m’en semble ?
Harpagon
Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.
Cléante
Là, là !
Harpagon
Mais encore ?
Cléante
A vous en parler franchement, je ne l’ai pas trouvée ici ce que je l’avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter; car, belle-mère pour belle-mère, j’aime autant celle-là qu’une autre.
Harpagon
L’Avare ACTE IV Scène 4
Harpagon, Cléante, Maître Jacques.
Maître Jacques
Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu’est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
Cléante
Je me moque de cela.
Maître Jacques à Cléante.
Ah ! Monsieur, doucement.
Harpagon
Me parler avec cette impudence !
Maître Jacques à Harpagon.
Ah ! monsieur, de grâce !
Cléante
Je n’en démordrai point.
Maître Jacques à Cléante.
Hé quoi ! à votre père ?
Harpagon
Laisse-moi faire.
Maître Jacques à Harpagon.
Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
Harpagon
Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j’ai raison.
Maître Jacques
L’Avare ACTE IV Scène 5
Harpagon, Cléante.
Cléante
Je vous demande pardon, mon père, de l’emportement que j’ai fait paraître.
Harpagon
Cela n’est rien.
Cléante
Je vous assure que j’en ai tous les regrets du monde.
Harpagon
Et moi, j’ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
Cléante
Quelle bonté à vous d’oublier si vite ma faute !
Harpagon
On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu’ils rentrent dans leur devoir.
Cléante
Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
Harpagon
C’est une chose où tu m’obliges, par la soumission et le respect où tu te ranges.
L’Avare ACTE IV Scène 6
Cléante, La Flèche.
La Flèche sortant du jardin avec une cassette.
Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.
Cléante
Qu’y a-t-il ?
La FlècheSuivez-moi, vous dis-je; nous sommes bien.
Cléante
Comment ?
La Flèche
Voici votre affaire.
Cléante
Quoi ?
La Flèche
J’ai guigné ceci tout le jour.
Cléante
Qu’est-ce que c’est ?
La Flèche
Le trésor de votre père, que j’ai attrapé.
Cléante
Comment as-tu fait ?
La Flèche
Vous saurez tout. Sauvons-nous; je l’entends crier.
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière
L’Avare ACTE IV Scène 7
Harpagon.
Harpagon criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.
Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné; on m’a coupé la gorge: on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. (À lui-même, se prenant par le bras.) Rends-moi mon argent, coquin… Ah ! c’est moi ! Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie: tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait; je n’en puis plus; je me meurs; je suis mort; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière