Dans laquelle il est établi que malgré leurs noms en os et en is, les héros de l’histoire que nous allons avoir l’honneur de raconter à nos lecteurs n’ont rien de mythologique.
Il y a un an à peu près, qu’en faisant à la Bibliothèque royale des recherches pour mon histoire de Louis XIV, je tombai par hasard sur les Mémoires de M. d’Artagnan, imprimés – comme la plus grande partie des ouvrages de cette époque, où les auteurs tenaient à dire la vérité sans aller faire un tour plus ou moins long à la Bastille – à Amsterdam, chez Pierre Rouge. Le titre me séduisit: je les emportai chez moi, avec la permission de M. le conservateur, bien entendu, et je les dévorai.
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Les trois présents de m. D’artagnan père
Le premier lundi du mois d’avril 1625, le bourg de Meung, où naquit l’auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus faire une seconde Rochelle. Plusieurs bourgeois, voyant s’enfuir les femmes du côté de la grande rue, entendant les enfants crier sur le seuil des portes, se hâtaient d’endosser la cuirasse et, appuyant leur contenance quelque peu incertaine d’un mousquet ou d’une pertuisane, se dirigeaient vers l’hôtellerie du Franc Meunier, devant laquelle s’empressait, en grossissant de minute en minute, un groupe compact, bruyant et plein de curiosité.
L’antichambre de m. De tréville
M. de Troisvilles, comme s’appelait encore sa famille en Gascogne, ou M. de Tréville, comme il avait fini par s’appeler lui-même à Paris, avait réellement commencé comme d’Artagnan, c’est-à-dire sans un sou vaillant, mais avec ce fonds d’audace, d’esprit et d’entendement qui fait que le plus pauvre gentillâtre gascon reçoit souvent plus en ses espérances de l’héritage paternel que le plus riche gentilhomme périgourdin ou berrichon ne reçoit en réalité. Sa bravoure insolente, son bonheur plus insolent encore dans un temps où les coups pleuvaient comme grêle, l’avaient hissé au sommet de cette échelle difficile qu’on appelle la faveur de cour, et dont il avait escaladé quatre à quatre les échelons.
L’audience
M. de Tréville était pour le moment de fort méchante humeur; néanmoins il salua poliment le jeune homme, qui s’inclina jusqu’à terre, et il sourit en recevant son compliment, dont l’accent béarnais lui rappela à la fois sa jeunesse et son pays, double souvenir qui fait sourire l’homme à tous les âges. Mais, se rapprochant presque aussitôt de l’antichambre et faisant à d’Artagnan un signe de la main, comme pour lui demander la permission d’en finir avec les autres avant de commencer avec lui, il appela trois fois, en grossissant la voix à chaque fois, de sorte qu’il parcourut tous les tons intervallaires entre l’accent impératif et l’accent irrité:
— Athos ! Porthos ! Aramis !
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L’epaule D’athos, Le Baudrier De Porthos Et Le Mouchoir D’aramis
D’Artagnan, furieux, avait traversé l’antichambre en trois bonds et s’élançait sur l’escalier, dont il comptait descendre les degrés quatre à quatre, lorsque, emporté par sa course, il alla donner tête baissée dans un mousquetaire qui sortait de chez M. de Tréville par une porte de dégagement, et, le heurtant du front à l’épaule, lui fit pousser un cri ou plutôt un hurlement.
— Excusez-moi, dit d’Artagnan, essayant de reprendre sa course, excusez-moi, mais je suis pressé.
À peine avait-il descendu le premier escalier, qu’un poignet de fer le saisit par son écharpe et l’arrêta.
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Les mousquetaires du roi et les gardes de M. le Cardinal
D’Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au rendez-vous d’Athos sans amener de second, résolu de se contenter de ceux qu’aurait choisis son adversaire. D’ailleurs son intention était formelle de faire au brave mousquetaire toutes les excuses convenables, mais sans faiblesse, craignant qu’il ne résultât de ce duel ce qui résulte toujours de fâcheux, dans une affaire de ce genre, quand un homme jeune et vigoureux se bat contre un adversaire blessé et affaibli: vaincu, il double le triomphe de son antagoniste; vainqueur, il est accusé de forfaiture et de facile audace.
Sa Majesté Le Roi Louis Treizième
L’affaire fit grand bruit. M. de Tréville gronda beaucoup tout haut contre ses mousquetaires, et les félicita tout bas; mais comme il n’y avait pas de temps à perdre pour prévenir le roi, M. de Tréville s’empressa de se rendre au Louvre. Il était déjà trop tard, le roi était enfermé avec le cardinal, et l’on dit à M. de Tréville que le roi travaillait et ne pouvait recevoir en ce moment. Le soir, M. de Tréville vint au jeu du roi. Le roi gagnait, et comme Sa Majesté était fort avare, elle était d’excellente humeur; aussi, du plus loin que le roi aperçut Tréville:
— Venez ici, monsieur le capitaine, dit-il, venez que je vous gronde; savez-vous que Son Éminence est venue me faire des plaintes sur vos mousquetaires, et cela avec une telle émotion, que ce soir Son Éminence en est malade ? Ah çà, mais ce sont des diables-à-quatre, des gens à pendre, que vos mousquetaires !
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L’intérieur Des Mousquetaires
Lorsque d’Artagnan fut hors du Louvre, et qu’il consulta ses amis sur l’emploi qu’il devait faire de sa part des quarante pistoles, Athos lui conseilla de commander un bon repas à la Pomme-du-Pin, Porthos de prendre un laquais, et Aramis de se faire une maîtresse convenable.
Le repas fut exécuté le jour même, et le laquais y servit à table. Le repas avait été commandé par Athos, et le laquais fourni par Porthos. C’était un Picard que le glorieux mousquetaire avait embauché le jour même et à cette occasion sur le pont de la Tournelle, pendant qu’il faisait des ronds en crachant dans l’eau. Porthos avait prétendu que cette occupation était la preuve d’une organisation réfléchie et contemplative, et il l’avait emmené sans autre recommandation. La grande mine de ce gentilhomme, pour le compte duquel il se crut engagé, avait séduit Planchet – c’était le nom du Picard; – il y eut chez lui un léger désappointement lorsqu’il vit que la place était déjà prise par un confrère nommé Mousqueton,
Une intrigue de cœur
Cependant les quarante pistoles du roi Louis XIII, ainsi que toutes les choses de ce monde, après avoir eu un commencement avaient eu une fin, et depuis cette fin nos quatre compagnons étaient tombés dans la gêne. D’abord Athos avait soutenu pendant quelque temps l’association de ses propres deniers. Porthos lui avait succédé, et, grâce à une de ces disparitions auxquelles on était habitué, il avait pendant près de quinze jours encore subvenu aux besoins de tout le monde; enfin était arrivé le tour d’Aramis, qui s’était exécuté de bonne grâce, et qui était parvenu, disait-il, en vendant ses livres de théologie, à se procurer quelques pistoles.
On eut alors, comme d’habitude, recours à M. de Tréville, qui fit quelques avances sur la solde; mais ces avances ne pouvaient conduire bien loin trois mousquetaires qui avaient déjà force comptes arriérés, et un garde qui n’en avait pas encore.
D’Artagnan se dessine
Comme l’avaient prévu Athos et Porthos, au bout d’une demi-heure d’Artagnan rentra. Cette fois encore il avait manqué son homme, qui avait disparu comme par enchantement. D’Artagnan avait couru, l’épée à la main, toutes les rues environnantes, mais il n’avait rien trouvé qui ressemblât à celui qu’il cherchait, puis enfin il en était revenu à la chose par laquelle il aurait dû commencer peut-être, et qui était de frapper à la porte contre laquelle l’inconnu était appuyé; mais c’était inutilement qu’il avait dix ou douze fois de suite fait résonner le marteau, personne n’avait répondu, et des voisins qui, attirés par le bruit, étaient accourus sur le seuil de leur porte ou avaient mis le nez à leurs fenêtres, lui avaient assuré que cette maison, dont au reste toutes les ouvertures étaient closes, était depuis six mois complètement inhabitée.