Chapitre XXXIV
À trois heures du matin, le vent faisait rage et soufflait avec une violence telle que le Victoria ne pouvait demeurer près de terre sans danger; les roseaux froissaient son enveloppe, qu’ils menaçaient de déchirer.
” Il faut partir, Dick, fit le docteur; nous ne pouvons rester dans cette situation.
— Mais Joe, Samuel ?
— Je ne l’abandonne pas ! non certes ! et, dût l’ouragan m’emporter à cent milles dans le nord, je reviendrai ! Mais ici nous compromettons la sûreté de tous.
Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre X
C’était le commandant du bord qui parlait ainsi.
A ces mots, Ned Land se releva subitement. Le stewart, presque étranglé sortit en chancelant sur un signe de son maître; mais tel était l’empire du commandant à son bord, que pas un geste ne trahit le ressentiment dont cet homme devait être animé contre le Canadien. Conseil, intéressé malgré lui, moi stupéfait, nous attendions en silence le dénouement de cette scène.
Le commandant, appuyé sur l’angle de la table, les bras croisés, nous observait avec une profonde attention. Hésitait-il à parler ? Regrettait-il ces mots qu’il venait de prononcer en français ? On pouvait le croire.
Après quelques instants d’un silence qu’aucun de nous ne songea à interrompre:
” Messieurs, dit-il d’une voix calme et pénétrante, je parle également le français, l’anglais, l’allemand et le latin. J’aurais donc pu vous répondre dès notre première entrevue, mais je voulais vous connaître d’abord, réfléchir ensuite. Votre quadruple récit, absolument semblable au fond, m’a affirmé l’identité de vos personnes. Je sais maintenant que le hasard a mis en ma présence monsieur Pierre Aronnax,
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre XI
Le capitaine Nemo se leva. Je le suivis. Une double porte, ménagée à l’arrière de la salle, s’ouvrit, et j’entrai dans une chambre de dimension égale à celle que je venais de quitter.
C’était une bibliothèque. De hauts meubles en palissandre noir, incrustés de cuivres, supportaient sur leurs larges rayons un grand nombre de livres uniformément reliés. Ils suivaient le contour de la salle et se terminaient à leur partie inférieure par de vastes divans, capitonnés de cuir marron, qui offraient les courbes les plus confortables. De légers pupitres mobiles, en s’écartant ou se rapprochant à volonté, permettaient d’y poser le livre en lecture. Au centre se dressait une vaste table, couverte de brochures, entre lesquelles apparaissaient quelques journaux déjà vieux. La lumière électrique inondait tout cet harmonieux ensemble, et tombait de quatre globes dépolis à demi engagés dans les volutes du plafond. Je regardais avec une admiration réelle cette salle si ingénieusement aménagée, et je ne pouvais en croire mes yeux.
” Capitaine Nemo, dis-je à mon hôte, qui venait de s’étendre sur un divan, voilà une bibliothèque qui ferait honneur à plus d’un palais des continents, et je suis vraiment émerveillé, quand je songe qu’elle peut vous suivre au plus profond des mers.
Chapitre XXXV
Qu’était devenu Joe pendant les vaines recherches de son maître ?
Lorsqu’il se fut précipité dans le lac, son premier mouvement à la surface fut de lever les yeux en l’air; il vit le Victoria, déjà fort élevé au-dessus du lac, remonter avec rapidité, diminuer peu à peu, et, pris bientôt par un courant rapide, disparaître vers le nord. Son maître, ses amis étaient sauvés.
” Il est heureux, se dit-il, que j’aie eu cette pensée de me jeter dans le Tchad; elle n’eût pas manqué de venir à l’esprit de M. Kennedy, et certes il n’aurait pas hésité à faire comme moi, car il est bien naturel qu’un homme se sacrifie pour en sauver deux autres. C’est mathématique. ”
Rassuré sur ce point, Joe se mit à songer à lui; il était au milieu d’un lac immense, entouré de peuplades inconnues, et probablement féroces. Lire la suite...
Chapitre XXXVI
Depuis que Kennedy avait repris son poste d’observation sur le devant de la nacelle, il ne cessait d’observer l’horizon avec une grande attention.
Au bout de quelque temps, il se retourna vers le docteur et dit:
” Si je ne me trompe, voici là-bas une troupe en mouvement, hommes ou animaux; il est encore impossible de les distinguer. En tout cas, ils s’agitent violemment, car ils soulèvent un nuage de poussière.
— Ne serait-ce pas encore un vent contraire, dit Samuel, une trombe qui viendrait nous repousser au nord ? ”
Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre XII
” Monsieur, dit le capitaine Nemo, me montrant les instruments suspendus aux parois de sa chambre, voici les appareils exigés par la navigation du Nautilus. Ici comme dans le salon, je les ai toujours sous les yeux, et ils m’indiquent ma situation et ma direction exacte au milieu de l’Océan. Les uns vous sont connus, tels que le thermomètre qui donne la température intérieure du Nautilus; le baromètre, qui pèse le poids de l’air et prédit les changements de temps; l’hygromètre, qui marque le degré de sécheresse de l’atmosphère; le storm-glass, dont le mélange, en se décomposant, annonce l’arrivée des tempêtes; la boussole, qui dirige ma route; le sextant, qui par la hauteur du soleil m’apprend ma latitude; les chronomètres, qui me permettent de calculer ma longitude; et enfin des lunettes de jour et de nuit, qui me servent à scruter tous les points de l’horizon, quand le Nautilus est remonté à la surface des flots.
— Ce sont les instruments habituels au navigateur, répondis-je, et j’en connais l’usage. Mais en voici d’autres qui répondent sans doute aux exigences particulières du Nautilus. Ce cadran que j’aperçois et que parcourt une aiguille mobile, n’est-ce pas un manomètre ?
— C’est un manomètre, en effet. Mis en communication avec l’eau dont il indique la pression extérieure, il me donne par là même la profondeur à laquelle se maintient mon appareil.
Chapitre XXXVII
Le vent pendant la nuit se reposa de ses violences du jour, et le Victoria demeura paisiblement au sommet d’un grand sycomore; le docteur et Kennedy veillèrent à tour de rôle, et Joe en profita pour dormir vigoureusement et tout d’un somme pendant vingt-quatre heures.
” Voilà le remède qu’il lui faut, dit Fergusson; la nature se chargera de sa guérison. ”
Au jour, le vent revint assez fort, mais capricieux; il se jetait brusquement dans le nord et le sud, mais en dernier lieu, le Victoria fut entraîné vers l’ouest.
Le docteur, la carte à la main, reconnut le royaume du Damerghou, terrain onduleux d’une grande fertilité, avec les huttes de ses villages faites de longs roseaux entremêlés des branchages de l’asclepia; les meules de grains s’élevaient, dans les champs cultivés, sur de petits échafaudages destinés à les préserver de l’invasion des souris et des termites. Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre XIII
Un instant après, nous étions assis sur un divan du salon, le cigare aux lèvres. Le capitaine mit sous mes yeux une épure qui donnait les plan, coupe et élévation du Nautilus. Puis il commença sa description en ces termes:
” Voici. monsieur Aronnax, les diverses dimensions du bateau qui vous porte. C’est un cylindre très allongé, à bouts coniques. Il affecte sensiblement la forme d’un cigare, forme déjà adoptée à Londres dans plusieurs constructions du même genre. La longueur de ce cylindre. de tête en tête, est exactement de soixante-dix mètres, et son bau. à sa plus grande largeur, est de huit mètres. Il n’est donc pas construit tout à fait au dixième comme vos steamers de grande marche, mais ses lignes sont suffisamment longues et sa coulée assez prolongée, pour que l’eau déplacée s’échappe aisément et n’oppose aucun obstacle a sa marche.
” Ces deux dimensions vous permettent d’obtenir par un simple calcul la surface et le volume du Nautilus. Sa surface comprend mille onze mètres carrés et quarante-cinq centièmes; son volume, quinze cents mètres cubes et deux dixièmes, — ce qui revient à dire qu’entièrement immergé, il déplace ou pèse quinze cents mètres cubes ou tonneaux.
Chapitre XXXVIII
La journée du 17 mai fut tranquille et exempte de tout incident; le désert recommençait; un vent moyen ramenait le Victoria dans le sud-ouest; il ne déviait ni à droite ni à gauche; son ombre traçait sur le sable une ligne rigoureusement droite.
Avant son départ, le docteur avait renouvelé prudemment sa provision d’eau; il craignait de ne pouvoir prendre terre sur ces contrées infestées par les Touaregs Aouelimminiens. Le plateau, élevé de dix-huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer, se déprimait vers le sud. Les voyageurs, ayant coupé la route d’Aghadès à Mourzouk, souvent battue par le pied des chameaux, arrivèrent au soir par 16° de latitude et 4° 55’ de longitude, après avoir franchi cent quatre-vingts milles d’une longue monotonie. Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre XIV
La portion du globe terrestre occupée par les eaux est évaluée à trois millions huit cent trente-deux milles cinq cent cinquante-huit myriamètres carrés, soit plus de trente-huit millions d’hectares. Cette masse liquide comprend deux milliards deux cent cinquante millions de milles cubes, et formerait une sphère d’un diamètre de soixante lieues dont le poids serait de trois quintillions de tonneaux. Et, pour comprendre ce nombre, il faut se dire que le quintillion est au milliard ce que le milliard est à l’unité, c’est-à-dire qu’il y a autant de milliards dans un quintillion que d’unités dans un milliard. Or, cette masse liquide, c’est à peu près la quantité d’eau que verseraient tous les fleuves de la terre pendant quarante mille ans.
Durant les époques géologiques, à la période du feu succéda la période de l’eau. L’Océan fut d’abord universel. Puis, peu à peu, dans les temps siluriens, des sommets de montagnes apparurent, des îles émergèrent, disparurent sous des déluges partiels, se montrèrent à nouveau, se soudèrent. formèrent des continents et enfin les terres se fixèrent géographiquement telles que nous les voyons. Le solide avait conquis sur le liquide trente-sept millions six cent cinquante-sept milles carrés, soit douze mille neuf cent seize millions d’hectares.