Chapitre XXIX
Depuis le moment de leur départ, les voyageurs marchèrent avec une grande rapidité; il leur tardait de quitter ce désert, qui avait failli leur être si funeste.
Vers neuf heures un quart du matin, quelques symptômes de végétation furent entrevus, herbes flottant sur cette mer de sable et leur annonçant, comme à Christophe Colomb, la proximité de la terre; des pousses vertes pointaient timidement entre des cailloux qui allaient eux-mêmes redevenir les rochers de cet océan.
Des collines encore peu élevées ondulaient à l’horizon; leur profil, estompé par la brume, se dessinait vaguement; la monotonie disparaissait. Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre V
Le voyage de l’Abraham-Lincoln, pendant quelque temps, ne fut marqué par aucun incident. Cependant une circonstance se présenta, qui mit en relief la merveilleuse habileté de Ned Land, et montra quelle confiance on devait avoir en lui.
Au large des Malouines, le 30 juin, la frégate communiqua avec des baleiniers américains, et nous apprîmes qu’ils n’avaient eu aucune connaissance du narwal. Mais l’un d’eux, le capitaine du Monroe, sachant que Ned Land était embarqué à bord de l’Abraham-Lincoln, demanda son aide pour chasser une baleine qui était en vue. Le commandant Farragut, désireux de voir Ned Land à l’œuvre, l’autorisa à se rendre à bord du Monroe. Et le hasard servit si bien notre Canadien, qu’au lieu d’une baleine, il en harponna deux d’un coup double, frappant l’une droit au cœur, et s’emparant de l’autre après une poursuite de quelques minutes !
Décidément, si le monstre a jamais affaire au harpon de Ned Land, je ne parierai pas pour le monstre.
La frégate prolongea la côte sud-est de l’Amérique avec une rapidité prodigieuse. Le 3 juillet, nous étions à l’ouvert du détroit de Magellan, à la hauteur du cap des Vierges. Mais le commandant Farragut ne voulut pas prendre ce sinueux passage, et manœuvra de manière à doubler le cap Horn.
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Chapitre XXX
Le lendemain, 11 mai, le Victoria reprit sa course aventureuse; les voyageurs avaient en lui la confiance d’un marin pour son navire.
D’ouragans terribles, de chaleurs tropicales, de départs dangereux, de descentes plus dangereuses encore, il s’était partout et toujours tiré avec bonheur. On peut dire que Fergusson le guidait d’un geste; aussi, sans connaître le point d’arrivée, le docteur n’avait plus de craintes sur l’issue du voyage. Seulement, dans ce pays de barbares et de fanatiques, la prudence l’obligeait à prendre les plus sévères précautions; il recommanda donc à ses compagnons d’avoir l’œil ouvert à tout venant et à toute heure.
Le vent les ramenait un peu plus au nord, et vers neuf heures, ils entrevirent la grande ville de Mosfeia, bâtie sur une éminence encaissée elle-même entre deux hautes montagnes; elle était située dans une position inexpugnable; une route étroite entre un marais et un bois y donnait seule accès. Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre VI
A ce cri, l’équipage entier se précipita vers le harponneur, commandant, officiers, maîtres, matelots, mousses, jusqu’aux ingénieurs qui quittèrent leur machine, jusqu’aux chauffeurs qui abandonnèrent leurs fourneaux.
L’ordre de stopper avait été donné, et la frégate ne courait plus que sur son erre.
L’obscurité était profonde alors, et quelques bons que fussent les yeux du Canadien, je me demandais comment il avait vu et ce qu’il avait pu voir. Mon cœur battait à se rompre.
Mais Ned Land ne s’était pas trompé, et tous, nous aperçûmes l’objet qu’il indiquait de la main.
A deux encablures de l’Abraham-Lincoln et de sa hanche de tribord, la mer semblait être illuminée par dessus. Ce n’était point un simple phénomène de phosphorescence, et l’on ne pouvait s’y tromper. Le monstre, immergé à quelques toises de la surface des eaux, projetait cet éclat très-intense, mais inexplicable, que mentionnaient les rapports de plusieurs capitaines. Cette magnifique irradiation devait être produite par un agent d’une grande puissance éclairante. La partie lumineuse décrivait sur la mer un immense ovale très allongé, au centre duquel se condensait un foyer ardent dont l’insoutenable éclat s’éteignait par dégradations successives.
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre VII
Bien que j’eusse été surpris par cette chute inattendue, je n’en conservai pas moins une impression très-nette de mes sensations.
Je fus d’abord entraîné à une profondeur de vingt pieds environ. Je suis bon nageur, sans prétendre égaler Byron et Edgar Poe, qui sont des maîtres, et ce plongeon ne me fit point perdre la tête. Deux vigoureux coups de talons me ramenèrent à la surface de la mer.
Mon premier soin fut de chercher des yeux la frégate. L’équipage s’était-il aperçu de ma disparition ? L’Abraham-Lincoln avait-il viré de bord ? Le commandant Farragut mettait-il une embarcation à la mer ? Devais-je espérer d’être sauvé ?
Les ténèbres étaient profondes. J’entrevis une masse noire qui disparaissait vers l’est, et dont les feux de position s’éteignirent dans l’éloignement. C’était la frégate. Je me sentis perdu.
” A moi ! à moi ! ” criai-je. en nageant vers l’Abraham-Lincoln d’un bras désespéré.
Mes vêtements m’embarrassaient. L’eau les collait à mon corps, ils paralysaient mes mouvements. Je coulais ! je suffoquais !…
Chapitre XXXI
Vers trois heures du matin, Joe, étant de quart, vit enfin la ville se déplacer sous ses pieds. Le Victoria reprenait sa marche. Kennedy et le docteur se réveillèrent.
Ce dernier consulta la boussole, et reconnut avec satisfaction que le vent les portait vers le nord-nord-est.
” Nous jouons de bonheur, dit-il; tout nous réussit; nous découvrirons le lac Tchad aujourd’hui même.
— Est-ce une grande étendue d’eau ? demanda Kennedy.
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Chapitre XXXII
Depuis son arrivée au lac Tchad, le Victoria avait rencontré un courant qui s’inclinait plus à l’ouest; quelques nuages tempéraient alors la chaleur du jour; on sentait d’ailleurs un peu d’air sur cette vaste étendue d’eau; mais, vers une heure, le ballon, ayant coupé de biais cette partie du lac, s’avança de nouveau dans les terres pendant l’espace de sept ou huit milles.
Le docteur, un peu fâché d’abord de cette direction, ne pensa plus à s’en plaindre quand il aperçut la ville de Kouka, la célèbre capitale du Bornou; il put l’entrevoir un instant, ceinte de ses murailles d’argile blanche; quelques mosquées assez grossières s’élevaient lourdement au-dessus de cette multitude de dés à jouer qui forment les maisons arabes. Dans les cours des maisons et sur les places publiques poussaient des palmiers et des arbres à caoutchouc, couronnés par un dôme de feuillage large de plus de Lire la suite...
Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre VIII
Cet enlèvement, si brutalement exécuté, s’était accompli avec la rapidité de l’éclair. Mes compagnons et moi, nous n’avions pas eu le temps de nous reconnaître. Je ne sais ce qu’ils éprouvèrent en se sentant introduits dans cette prison flottante; mais, pour mon compte, un rapide frisson me glaça l’épiderme. A qui avions-nous affaire ? Sans doute à quelques pirates d’une nouvelle espèce qui exploitaient la mer à leur façon.
A peine l’étroit panneau fut-il refermé sur moi, qu’une obscurité profonde m’enveloppa. Mes yeux, imprégnés de la lumière extérieure, ne purent rien percevoir. Je sentis mes pieds nus se cramponner aux échelons d’une échelle de fer. Ned Land et Conseil, vigoureusement saisis, me suivaient. Au bas de l’échelle, une porte s’ouvrit et se referma immédiatement sur nous avec un retentissement sonore.
Nous étions seuls. Où ? Je ne pouvais le dire, à peine l’imaginer. Tout était noir, mais d’un noir si absolu, qu’après quelques minutes, mes yeux n’avaient encore pu saisir une de ces lueurs indéterminées qui flottent dans les plus profondes nuits.
Cependant, Ned Land, furieux de ces façons de procéder, donnait un libre cours à son indignation.
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Vingt mille lieues sous les mers partie 1 Chapitre IX
Quelle fut la durée de ce sommeil, je l’ignore; mais il dut être long, car il nous reposa complètement de nos fatigues. Je me réveillai le premier. Mes compagnons n’avaient pas encore bougé, et demeuraient étendus dans leur coin comme des masses inertes.
A peine relevé de cette couche passablement dure, je sentis mon cerveau dégagé, mon esprit net. Je recommençai alors un examen attentif de notre cellule.
Rien n’était changé à ses dispositions intérieures. La prison était restée prison, et les prisonniers, prisonniers. Cependant le stewart, profitant de notre sommeil, avait desservi la table. Rien n’indiquait donc une modification prochaine dans cette situation, et je me demandai sérieusement si nous étions destinés à vivre indéfiniment dans cette cage.
Cette perspective me sembla d’autant plus pénible que, si mon cerveau était libre de ses obsessions de la veille, je me sentais la poitrine singulièrement oppressée. Ma respiration se faisait difficilement. L’air lourd ne suffisait plus au jeu de mes poumons. Bien que la cellule fût vaste, il était évident que nous
Chapitre XXXIII
Le lendemain, 13 mai, les voyageurs reconnurent tout d’abord la partie de la côte qu’ils occupaient. C’était une sorte d’île de terre ferme au milieu d’un immense marais. Autour de ce morceau de terrain solide s’élevaient des roseaux grands comme des arbres d’Europe et qui s’étendaient à perte de vue.
Ces marécages infranchissables rendaient sûre la position du Victoria; il fallait seulement surveiller le côté du lac; la vaste nappe d’eau allait s’élargissant, surtout dans l’est, et rien ne paraissait à l’horizon, ni continent ni îles.
Les deux amis n’avaient pas encore osé parler de leur infortuné compagnon. Kennedy fut le premier à faire part de ses conjectures au docteur. Lire la suite...