En Chasse
M. Lepic emmène ses fils à la chasse alternativement. Ils marchent derrière lui, un peu sur sa droite, à cause de la direction du fusil, et portent le carnier. M. Lepic est un marcheur infatigable. Poil de Carotte met un entêtement passionné à le suivre, sans se plaindre. Ses souliers se blessent, il n’en dit mot, et ses doigts se cordellent; le bout de ses orteils enfle, ce qui leur donne la forme de petits marteaux.
Si M. Lepic tue un lièvre au début de la chasse, il dit:
— Veux-tu le laisser à la première ferme ou le cacher dans une haie, et nous le reprendrons ce soir ?
— Non, papa, dit Poil de Carotte, j’aime mieux le garder.
Il lui arrive de porter une journée entière deux lièvres et cinq perdrix.
La Mouche La chasse continue, et Poil de Carotte qui hausse les épaules de remords, tant il se trouve bête, emboîte le pas de son père avec une nouvelle ardeur, s’applique à poser exactement le pied gauche là ou M. Lepic a posé son pied gauche, et il écarte les jambes comme s’il fuyait un…
La Première Bécasse
— Mets-toi là, dit M. Lepic. C’est la meilleure place. Je me promènerai dans le bois avec le chien; nous ferons lever les bécasses, et quand tu entendras: pit, pit, dresse l’oreille et ouvre l’œil. Les bécasses passeront sur la tête.
Poil de Carotte tient le fusil couché entre son bras. C’est la première fois qu’il va tirer une bécasse. Il a déjà tué une caille, déplumé une perdrix et manqué un lièvre avec le fusil de M. Lepic.
Il a tué la caille par terre, sous le nez du chien en arrêt. D’abord il regardait, sans la voir, cette petite boule ronde, couleur du sol.
— Recule-toi, lui dit M. Lepic, tu es trop près.
L’Hameçon
Poil de Carotte est en train d’écailler ses poissons, des goujons, des ablettes et même des perches. Il les gratte avec un couteau, leur fend le ventre, et fait éclater sous son talon les vessies doubles transparentes. Il réunit les vidures pour le chat. Il travaille, se hâte, absorbé, penché sur le seau blanc d’écume, et prend garde de se mouiller.
Madame Lepic vient donner un coup d’œil.
— À la bonne heure, dit-elle, tu nous as pêché une belle friture, aujourd’hui. Tu n’es pas maladroit, quand tu veux.
Elle lui caresse le cou et les épaules, mais, comme elle retire sa main, elle pousse des cris de douleur.
Elle a un hameçon piqué au bout du doigt.
La Pièce d’Argent
I
Madame Lepic: Tu n’as rien perdu, Poil de Carotte ?
Poil de Carotte: Non, maman.
Madame Lepic: Pourquoi dis-tu non, tout de suite, sans savoir ? Retourne d’abord tes poches.
Poil de Carotte: Il tire les doublures de ses poches et les regarde pendre comme des oreilles d’âne.
Ah ! oui, maman ! Rends-le-moi.
Madame Lepic: Rends-moi quoi ? Tu as donc perdu quelque chose ? Je te questionnais au hasard et je devine ! Qu’est-ce que tu as perdu ?
Les Idées personnelles.
M. Lepic, grand frère Félix, sœur Ernestine et Poil de Carotte veillent près de la cheminée où brûle une souche avec ses racines, et les quatre chaises se balancent sur leurs pieds de devant. On discute et Poil de Carotte, pendant que madame Lepic n’est pas là, développe ses idées personnelles.
— Pour moi, dit-il, les titres de famille ne signifient rien. Ainsi, papa, tu sais comme je t’aime ! Or, je t’aime, non parce que tu es mon père; je t’aime, parce que tu es mon ami. En effet, tu n’as aucun mérite à être mon père, mais je regarde ton amitié comme une haute faveur que tu ne me dois pas et que tu m’accordes généreusement.
— Ah ! répond M. Lepic.
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La Tempête de Feuilles
Il y a longtemps que Poil de Carotte, rêveur, observe la plus haute feuille du grand peuplier.
Il songe creux et attend qu’elle remue. Elle semble détachée de l’arbre, vivre à part, seule, sans queue, libre.
Chaque jour, elle se dore au premier et au dernier rayon du soleil.
Depuis midi, elle garde une immobilité de morte, plutôt tache que feuille, et Poil de Carotte perd patience, mal à son aise, lorsque enfin, elle fait un signe.
Au-dessous d’elle, une feuille proche fait le même signe. D’autres feuilles le répètent, le communiquent aux feuilles voisines qui le passent rapidement.
La Révolte
I
Madame Lepic: Mon petit Poil de Carotte chéri, je t’en prie, tu serais bien mignon d’aller me chercher une livre de beurre au moulin. Cours vite. On t’attendra pour se mettre à table.
Poil de Carotte: Non, maman.
Madame Lepic: Pourquoi réponds-tu: non, maman ? Si, nous t’attendrons.
Poil de Carotte: Non, maman, je n’irai pas au moulin.
Madame Lepic: Comment ! tu n’iras pas au moulin ? Que dis-tu ? Qui te demande ?… Est-ce que tu rêves ?
Poil de Carotte: Non, maman.
Le Mot de la fin
Le soir, après le dîner où madame Lepic, malade et couchée, n’a point paru, où, chacun s’est tu, non seulement par habitude, mais encore par gêne, M. Lepic noue sa serviette qu’il jette sur la table et dit: — Personne ne vient se promener avec moi jusqu’au biquignon, sur la vieille route ?
Poil de Carotte comprend que M. Lepic a choisi cette manière de l’inviter. Il se lève aussi, porte sa chaise vers le mur comme toujours, et il suit docilement son père.
D’abord ils marchent silencieux. La question inévitable ne vient pas tout de suite. Poil de Carotte, en son esprit, s’exerce à la deviner et à lui répondre. Il est prêt. Fortement ébranlé, il ne regrette rien. Il a eu dans sa journée une telle émotion qu’il n’en craint pas de plus forte. Et le son de voix même de M. Lepic qui se décide, le rassure.
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L’Album de Poil de Carotte
I
Si un étranger feuillette l’album de photographies des Lepic, il ne manque pas de s’étonner. Il voit sœur Ernestine et grand frère Félix sous divers aspects, debout, assis, bien habillés ou demi-vêtus, gais ou renfrognés, au milieu de riches décors.
— Et Poil de Carotte ?
— J’avais des photographies de lui tout petit, répond madame Lepic, mais il était si beau qu’on me l’arrachait, et je n’ai pu en garder une seule.
La vérité c’est qu’on ne fait jamais tirer Poil de Carotte.