Le Toiton
Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient en toute propriété à Poil de Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car le toiton n’a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouverte le sol. Les pierres des murs luisent d’humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s’y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination.
Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec son derrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d’une truelle, des bourrelets de poussière et se cale.
Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment il ne peut pas tenir moins de place. Il oublie le monde, ne le craint plus. Seul un bon coup de tonnerre le troublerait.
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Le Chat
I
Poil de Carotte l’a entendu dire: rien ne vaut la viande de chat pour pêcher les écrevisses, ni les tripes d’un poulet, ni les déchets d’une boucherie.
Or il connaît un chat, méprisé parce qu’il est vieux, malade, et çà et là, pelé. Poil de Carotte l’invite à venir prendre une tasse de lait chez lui, dans son toiton. Ils seront seuls. Il se peut qu’un rat s’aventure hors du mur, mais Poil de Carotte ne promet que la tasse de lait. Il l’a posée dans un coin. Il y pousse le chat et dit:
— Régale-toi.
Il lui flatte l’échine, lui donne des noms tendres, observe ses vifs coups de langue, puis s’attendrit.
— Pauvre vieux, jouis de ton reste.
Les Moutons
Poil de Carotte n’aperçoit d’abord que de vagues boules sautantes. Elles poussent des cris étourdissants et mêlés, comme des enfants qui jouent sous un préau d’école. L’une d’elle se jette dans ses jambes, et il en éprouve quelque malaise. Une autre bondit en pleine projection de lucarne. C’est un agneau. Poil de Carotte sourit d’avoir eu peur. Ses yeux s’habituent graduellement à l’obscurité, et les détails se précisent.
L’époque des naissances a commencé. Chaque matin, le fermier Pajol compte deux ou trois agneaux de plus. Il les trouves égarés parmi les mères, gauches, flageolant sur leurs pattes raides: quatre morceaux de bois d’une sculpture grossière.
Poil de Carotte n’ose pas encore les caresser. Plus hardis, ils suçotent déjà ses souliers, ou posent leurs pieds de devant sur lui, un brin de foin dans la bouche.
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Parrain
Quelquefois madame Lepic permet à Poil de Carotte d’aller voir son parrain et même de coucher avec lui. C’est un vieil homme bourru, solitaire, qui passe sa vie à la pêche ou dans la vigne. Il n’aime personne et ne supporte que Poil de Carotte.
— Te voilà, canard ! dit-il.
— Oui, parrain, dit Poil de Carotte sans l’embrasser, m’as-tu préparé ma ligne ?
— Nous en aurons assez d’une pour nous deux, dit parrain.
Poil de Carotte ouvre la porte de la grange et voit sa ligne prête. Ainsi son parrain le taquine toujours, mais Poil de Carotte averti ne se fâche plus et cette manie du vieil homme complique à peine leurs relations. Quand il dit oui, il veut dire non et réciproquement. Il ne s’agit que de ne pas s’y tromper.
Il ne couche pas avec son parrain pour le plaisir de dormir. Si la chambre est froide, le lit de plume est trop chaud, et la plume, douce aux vieux membres du parrain, met vite le filleul en nage. Mais il couche loin de sa mère.
— Elle te fait donc bien peur ? dit parrain.
Poil de Carotte: Où plutôt, moi je ne lui fais pas assez peur. Quand elle veut donner une correction à mon frère, il saute sur un manche de balai, se campe devant elle, et je te jure qu’elle s’arrête court. Aussi elle préfère le prendre par les sentiments. Elle dit que la nature de Félix est si susceptible qu’on n’en ferait rien avec des coups et qu’ils s’appliquent mieux à la mienne.
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Les Prunes
Quelque temps agités, ils remuent dans la plume et le parrain dit:
— Canard, dors-tu ?
Poil de Carotte: Non, parrain.
Parrain: Moi non plus. J’ai envie de me lever. Si tu veux, nous allons chercher des vers.
— C’est une idée, dit Poil de Carotte.
Ils sautent du lit, s’habillent, allument une lanterne et vont dans le jardin.
Poil de Carotte porte la lanterne, et le parrain une boîte de fer-blanc, à moitié pleine de terre mouillée. Il y entretient une provision de vers pour se pêche. Il les recouvre d’une mousse humide, de sorte qu’il n’en manque jamais. Quand il a plu toute la journée, la récolte est abondante.
Mathilde
— Tu sais, maman, dit sœur Ernestine essoufflée à madame Lepic, Poil de Carotte joue encore au mari et à la femme avec la petite Mathilde, dans le pré. Grand frère Félix les habille. C’est pourtant défendu, si je ne me trompe.
En effet, dans le pré, la petite Mathilde se tient immobile et raide sous sa toilette de clématite sauvage à fleurs blanches. Toute parée, elle semble vraiment une fiancée garnie d’oranger. Et elle en a, de quoi calmer toutes les coliques de la vie.
La clématite, d’abord nattée en couronne sur la tête, descend par flots sous le menton, derrière le dos, le long des bras, volubile, enguirlande la taille et forme à terre une queue rampante que grand frère Félix ne se lasse pas d’allonger.
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Le Coffre-Fort
Le lendemain, comme Poil de Carotte rencontre Mathilde, elle lui dit:
— Ta maman est venue tout rapporter à ma maman et j’ai reçu une bonne fessée. Et toi ?
Poil de Carotte: Moi, je ne me rappelle plus. Mais tu ne méritais pas d’être battue, nous ne faisions rien de mal.
Mathilde: Non, pour sûr.
Poil de Carotte: Je t’affirme que je parlais sérieusement quand je te disais que je me marierais bien avec toi.
Mathilde: Moi, je me marierais bien avec toi aussi.
Les Têtards
Poil de Carotte joue seul dans la cour, au milieu, afin que madame Lepic puisse le surveiller par la fenêtre, et il s’exerce à jouer comme il faut, quand le camarade Rémy paraît. C’est un garçon du même âge, qui boite et veut toujours courir, de sorte que sa jambe gauche infirme traîne derrière l’autre et ne la rattrape jamais. Il porte un panier et dit:
— Viens-tu, Poil de Carotte ? Papa me le chanvre dans la rivière. Nous l’aiderons et nous pêcherons des têtards avec des paniers.
— Demande le à maman, dit Poil de Carotte.
Rémy: Pourquoi moi ?
Poil de Carotte: Parce qu’à moi elle ne me donnera pas la permission. Juste, madame Lepic se montre à la fenêtre.
SCÈNE PREMIÈRE
Madame Lepic
Où vas-tu ?
Poil de Carotte
Il a mis sa cravate neuve et craché sur ses souliers à les noyer
Je vais me promener avec papa.
Madame Lepic
Je te défends d’y aller, tu m’entends ? Sans ça… Sa main droite recule comme pour prendre son élan.
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