Britannicus A monseigneur le duc de chevreuse,
Monseigneur,
Vous serez peut-être étonné de voir votre nom à la tête de cet ouvrage, & si je vous avois demandé la permission de vous l’offrir, je doute si je l’aurois obtenue. Mais ce seroit être en quelque sorte ingrat, que de cacher plus long-temps au monde les bontés dont vous m’avez toujours honoré. Quelle apparence qu’un homme qui ne travaille que pour la gloire, se puisse taire d’une protection aussi glorieuse que la vôtre ?
Non, MONSEIGNEUR, il m’est trop avantageux que l’on sache que mes amis mêmes ne vous sont pas indifférens, que vous prenez part à tous mes ouvrages, & que vous m’avez procuré l’honneur de lire celui-ci devant un homme dont toutes les heures sont précieuses. Vous fûtes témoin avec quelle pénétration d’esprit il jugea de l’économie de la pièce, & combien l’idée qu’il s’est formée d’une excellente Tragédie, est au-delà de tout ce que j’ai pu concevoir.
Ne craignez pas, MONSEIGNEUR, que je m’engage plus avant; & que n’osant le louer en face, je m’adresse à vous pour le louer avec plus de liberté. Je sais qu’il seroit dangereux de le fatiguer de ses louanges. Et j’ose dire que cette même modestie qui vous est commune avec lui, n’est pas un des moindres liens qui vous attachent l’un à l’autre.
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Britannicus Personnages
Néron, empereur, fils d’Agrippine.
Britannicus, fils de l’empereur Claudius.
Agrippine, veuve de Domitius Enobarbus, mère de Néron, et, en secondes noces, veuve de l’empereur Claudius.
Junie, amante de Britannicus.
Burrhus, gouverneur de Néron.
Narcisse, gouverneur de Britannicus.
Albine, confidente d’Agrippine.
Gardes.
La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.
La pièce de Théâtre Britannicus par Jean Racine.
Britannicus PRÉFACE
Voici celle de mes Tragédies que je puis dire que j’ai le plus travaillée. Cependant j’avoue que le succès ne répondit pas d’abord à mes espérances. À peine elle parut sur le théâtre, qu’il s’éleva quantité de critiques qui semblaient la devoir détruire. Je crus moi-même que sa destinée serait à l’avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette pièce ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté: les critiques se sont évanouies, la pièce est demeurée. C’est maintenant celle des miennes que la cour et le public revoient le plus volontiers. Et si j’ai fait quelque chose de solide, et qui mérite quelque louange, la plupart des connaisseurs demeurent d’accord que c’est ce même Britannicus.
À la vérité, j’avais travaillé sur des modèles qui m’avaient extrêmement soutenu dans la peinture que je voulais faire de la cour d’Agrippine et de Néron. J’avais copié mes personnages d’après le plus grand peintre de l’antiquité, je veux dire d’après Tacite, et j’étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu’il n’y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie, dont il ne m’ait donné l’idée. J’avais voulu mettre dans ce recueil un extrait des plus beaux endroits que j’ai tâché d’imiter; mais j’ai trouvé que cet extrait tiendrait presque autant de place que la tragédie. Ainsi le lecteur trouvera bon que je le renvoie à cet auteur, qui aussi bien est entre les mains de tout le monde; et je me contenterai de rapporter ici quelques-uns de ses passages sur chacun des personnages que j’introduis sur la scène.
Britannicus ACTE PREMIER Scène PREMIERE
AGRIPPINE, ALBINE.
Albine
Quoi, tandis que Néron s’abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
Qu’errant dans le palais, sans suite & sans escorte
La mère de Céfar veille feule à fa porte ?
Madame, retournez dans votre appartement.
Agrippine.
Albine, il ne faut pas s’éloigner un moment.
Je veux l’attendre ici. Les chagrins qu’il me cause
Britannicus ACTE PREMIER Scène II
Agrippine, Burrhus, Albine
Burrhus
Madame,
Au nom de l’empereur j’allais vous informer
D’un ordre qui d’abord a pu vous alarmer,
Mais qui n’est que l’effet d’une sage conduite,
Dont César a voulu que vous soyez instruite.
Agrippine
Puisqu’il le veut, entrons: il m’en instruira mieux.
Burrhus
César pour quelque temps s’est soustrait à nos yeux.
Britannicus ACTE PREMIER Scène III
Britannicus, Agrippine, Narcisse, Albine
Agrippine
Ah, Prince ! où courez-vous ? Quelle ardeur inquiète
Parmi vos ennemis en aveugle vous jette ?
Que venez-vous chercher ?
Britannicus
Ce que je cherche ? Ah, dieux !
Tout ce que j’ai perdu, Madame, est en ces lieux.
De mille affreux soldats Junie environnée
S’est vue en ce palais indignement traînée.
Britannicus ACTE PREMIER Scène IV
Britannicus, Narcisse
Britannicus
La croirai-je, Narcisse ? et dois-je sur sa foi
La prendre pour arbitre entre son fils et moi ?
Qu’en dis-tu ? N’est-ce pas cette même Agrippine
Que mon père épousa jadis pour sa ruine,
Et qui, si je t’en crois, a de ses derniers jours,
Trop lents pour ses desseins, précipité le cours ?
Britannicus ACTE II Scène I
Néron, Burrhus, Narcisse, Gardes.
Néron
N’en doutez point, Burrhus: malgré ses injustices,
C’est ma mère, et je veux ignorer ses caprices.
Mais je ne prétends plus ignorer ni souffrir
Le ministre insolent qui les ose nourrir.
Pallas de ses conseils empoisonne ma mère;
Il séduit, chaque jour, Britannicus mon frère,
Ils l’écoutent tout seul, et qui suivrait leurs pas,
Les trouverait peut-être assemblés chez Pallas.
C’en est trop. De tous deux il faut que je l’écarte.
Britannicus ACTE II Scène II
Néron, Narcisse
Narcisse
Grâces aux dieux, Seigneur, Junie entre vos mains
Vous assure aujourd’hui le reste des Romains.
Vos ennemis, déchus de leur vaine espérance,
Sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance.
Mais que vois-je ? Vous-même, inquiet, étonné,
Plus que Britannicus paraissez consterné.
Que présage à mes yeux cette tristesse obscure
Britannicus ACTE II Scène III
Néron, Junie
Néron
Vous vous troublez, Madame, et changez de visage.
Lisez-vous dans mes yeux quelque triste présage ?
Junie
Seigneur, je ne vous puis déguiser mon erreur:
J’allais voir Octavie, et non pas l’empereur.
Néron
Je le sais bien, Madame, et n’ai pu sans envie