Britannicus ACTE III Scène VIII
Néron, Britannicus, Junie
Néron
Prince, continuez des transports si charmants.
Je conçois vos bontés par ses remerciements,
Madame. À vos genoux je viens de le surprendre,
Mais il aurait aussi quelque grâce à me rendre:
Ce lieu le favorise, et je vous y retiens
Pour lui faciliter de si doux entretiens.
Britannicus
Je puis mettre à ses pieds ma douleur ou ma joie
Partout où sa bonté consent que je la voie;
Et l’aspect de ces lieux où vous la retenez
N’a rien dont mes regards doivent être étonnés.
Néron
Et que vous montrent-ils qui ne vous avertisse
Qu’il faut qu’on me respecte et que l’on m’obéisse ?
Britannicus
Ils ne nous ont pas vus l’un et l’autre élever,
Moi pour vous obéir et vous pour me braver,
Et ne s’attendaient pas, lorsqu’ils nous virent naître,
Qu’un jour Domitius me dût parler en maître.
Néron
Ainsi par le destin nos vœux sont traversés:
J’obéissais alors, et vous obéissez.
Si vous n’avez appris à vous laisser conduire,
Vous êtes jeune encore, et l’on peut vous instruire.
Britannicus
Et qui m’en instruira ?
Néron
Tout l’empire à la fois,
Rome.
Britannicus
Rome met-elle au nombre de vos droits
Tout ce qu’a de cruel l’injustice et la force,
Les emprisonnements, le rapt et le divorce ?
Néron
Rome ne porte point ses regards curieux
Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux.
Imitez son respect.
Britannicus
On sait ce qu’elle en pense.
Néron
Elle se tait du moins: imitez son silence.
Britannicus
Ainsi Néron commence à ne plus se forcer.
Néron
Néron de vos discours commence à se lasser.
Britannicus
Chacun devait bénir le bonheur de son règne.
Néron
Heureux ou malheureux, il suffit qu’on me craigne.
Britannicus
Je connais mal Junie ou de tels sentiments
Ne mériteront pas ses applaudissements.
Néron
Du moins, si je ne sais le secret de lui plaire,
Je sais l’art de punir un rival téméraire.
Britannicus
Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler,
Sa seule inimitié peut me faire trembler.
Néron
Souhaitez-la, c’est tout ce que je vous puis dire.
Britannicus
Le bonheur de lui plaire est le seul où j’aspire.
Néron
Elle vous l’a promis, vous lui plairez toujours.
Britannicus
Je ne sais pas du moins épier ses discours.
Je la laisse expliquer sur tout ce qui me touche,
Et ne me cache point pour lui fermer la bouche.
Néron
Je vous entends. Eh bien, gardes !
Junie
Que faites-vous ?
C’est votre frère. Hélas ! C’est un amant jaloux;
Seigneur, mille malheurs persécutent sa vie.
Ah ! son bonheur peut-il exciter votre envie ?
Souffrez que de vos cœurs rapprochant les liens,
Je me cache à vos yeux et me dérobe aux siens;
Ma fuite arrêtera vos discordes fatales,
Seigneur, j’irai remplir le nombre des vestales.
Ne lui disputez plus mes vœux infortunés,
Souffrez que les dieux seuls en soient importunés.
Néron
L’entreprise, Madame, est étrange et soudaine.
Dans son appartement, gardes, qu’on la ramène.
Gardez Britannicus dans celui de sa sœur.
Britannicus
C’est ainsi que Néron sait disputer un cœur.
Junie
Prince, sans l’irriter, cédons à cet orage.
Néron
Gardes, obéissez sans tarder davantage.
La pièce de Théâtre Britannicus par Jean Racine.