Britannicus A monseigneur le duc de chevreuse,
Monseigneur,
Vous serez peut-être étonné de voir votre nom à la tête de cet ouvrage, & si je vous avois demandé la permission de vous l’offrir, je doute si je l’aurois obtenue. Mais ce seroit être en quelque sorte ingrat, que de cacher plus long-temps au monde les bontés dont vous m’avez toujours honoré. Quelle apparence qu’un homme qui ne travaille que pour la gloire, se puisse taire d’une protection aussi glorieuse que la vôtre ?
Non, MONSEIGNEUR, il m’est trop avantageux que l’on sache que mes amis mêmes ne vous sont pas indifférens, que vous prenez part à tous mes ouvrages, & que vous m’avez procuré l’honneur de lire celui-ci devant un homme dont toutes les heures sont précieuses. Vous fûtes témoin avec quelle pénétration d’esprit il jugea de l’économie de la pièce, & combien l’idée qu’il s’est formée d’une excellente Tragédie, est au-delà de tout ce que j’ai pu concevoir.
Ne craignez pas, MONSEIGNEUR, que je m’engage plus avant; & que n’osant le louer en face, je m’adresse à vous pour le louer avec plus de liberté. Je sais qu’il seroit dangereux de le fatiguer de ses louanges. Et j’ose dire que cette même modestie qui vous est commune avec lui, n’est pas un des moindres liens qui vous attachent l’un à l’autre.
La modération n’est qu’une vertu ordinaire, quand elle ne se rencontre qu’avec des qualités ordinaires. Mais qu’avec toutes les qualités, & du cœur & de l’esprit; qu’avec un jugement qui, ce semble, ne devrait être le fruit que de l’expérience de plusieurs années; qu’avec mille belles connoissances que vous ne sauriez cacher à vos amis particuliers, vous ayez encore cette sage retenue, que tout le monde admire en vous: c’est sans doute une vertu rare en un siècle où l’on fait vanité des moindres choses. Mais je me laisse emporter insensiblement à la tentation de parler de vous. Il faut qu’elle soit bien violente, puisque je n’ai pu y résister dans une Lettre où je n’avois autre dessein, que de vous témoigner avec combien de respect je suis,
MONSEIGNEUR,
Votre très-humble,
très-obéissant &
très-fidèle serviteur,
RACINE.
La pièce de Théâtre Britannicus par Jean Racine.