Un vieillard endormi, on dirait la répétition générale de
Les deux auberges
C’était en revenant de Nîmes, une après-midi de juillet. Il faisait une chaleur accablante. À perte de vue, la route blanche, embrasée, poudroyait entre les jardins d’oliviers et de petits chênes, sous un grand soleil d’argent mat qui remplissait tout le ciel. Pas une tache d’ombre, pas un souffle de vent. Rien que la vibration de l’air chaud et le cri strident des cigales, musique folle, assourdissante, à temps pressés, qui semble la sonorité même de cette immense vibration lumineuse… Je marchais en plein désert depuis deux heures, quand tout à coup, devant moi, un groupe de maisons blanches se dégagea de la poussière de la route. C’était ce qu’on appelle le relais de Saint-Vincent: cinq ou six mas, de longues granges à toiture rouge, un abreuvoir sans eau dans un bouquet de figuiers maigres, et, tout au bout du pays, deux grandes auberges qui se regardent face à face de chaque côté du chemin.
Le voisinage de ces auberges avait quelque chose de saisissant. D’un côté, un grand bâtiment neuf, plein de vie, d’animation, toutes les portes ouvertes, la diligence arrêtée devant, les chevaux fumants qu’on dételait, les voyageurs descendus buvant à la hâte sur la route dans l’ombre courte des murs; la cour encombrée de mulets, de charrettes; des rouliers couchés sous les hangars en attendant la fraîche. À l’intérieur, des cris, des jurons, des coups de poing sur les tables, le choc des verres, le fracas des billards, les bouchons de limonades qui sautaient, et, dominant tout ce tumulte, une voix joyeuse, éclatante, qui chantait à faire trembler les vitres:
La belle Margoton
Tant matin s’est levée,
A pris son broc d’argent,
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A Milianah
NOTES DE VOYAGE.
Cette fois, je vous emmène passer la journée dans une jolie petite ville d’Algérie, à deux ou trois cents lieues du moulin… Cela nous changera un peu des tambourins et des cigales…
… Il va pleuvoir; le ciel est gris, les crêtes du mont Zaccar s’enveloppent de brume. Dimanche triste… Dans ma petite chambre d’hôtel, la fenêtre ouverte sur les remparts arabes, j’essaye de me distraire en allumant des cigarettes… On a mis à ma disposition toute la bibliothèque de l’hôtel; entre une histoire très détaillée de l’enregistrement et quelques romans de Paul de Kock je découvre un volume dépareillé de Montaigne… Ouvert le livre au hasard, relu l’admirable lettre sur la mort de La Boétie… Me voilà plus rêveur et plus sombre que jamais… Quelques gouttes de pluie tombent déjà. Chaque goutte, en tombant sur le rebord de la croisée, fait une large étoile dans la poussière entassée là depuis les pluies de l’an dernier… Mon livre me glisse des mains, et je passe de longs instants à regarder, cette étoile mélancolique…
Deux heures sonnent à l’horloge de la ville, un ancien marabout dont j’aperçois d’ici les grêles murailles blanches… Pauvre diable de marabout ! Qui lui aurait dit cela, il y a trente ans, qu’un jour il porterait au milieu de la poitrine un gros cadran municipal, et que, tous les dimanches, sur le coup de deux heures, il donnerait aux églises de Milianah le signal de sonner les vêpres ?… Ding ! dong ! voilà les cloches parties !… Nous en avons pour longtemps… Décidément, cette chambre est triste. Les grosses araignées du matin, qu’on appelle pensées philosophiques, on tissé leurs toiles dans tous les coins… Allons dehors.
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L’épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous