Coucou-Blanc et la dame du premier
Il y a, sur la place de Saint-Germain-des-Prés, dans le coin de l’église, à gauche et tout au bord des toits, une petite fenêtre qui me serre le cœur chaque fois que je la regarde. C’est la fenêtre de notre ancienne chambre; et, encore aujourd’hui, quand je passe par là, je me figure que le Daniel d’autrefois est toujours là-haut, assis à sa table contre la vitre, et qu’il sourit de pitié en voyant dans la rue le Daniel d’aujourd’hui triste et déjà courbé.
Ah ! vieille horloge de Saint-Germain, que de belles heures tu m’as sonnées quand j’habitais là-haut, avec ma mère Jacques !… Est-ce que tu ne pourrais pas m’en sonner encore quelques-unes de ces heures de vaillance et de jeunesse ? J’étais si heureux dans ce temps-là… Je travaillais de si bon cœur !…
Le matin, on se levait avec le jour. Jacques, tout de suite, s’occupait du ménage. Il allait chercher de l’eau, balayait la chambre, rangeait ma table. Moi, je n’avais le droit de toucher à rien. Si je lui disais: ” Jacques, veux-tu que je t’aide ? ”
Jacques se mettait à rire: ” Tu n’y songes pas, Daniel. Et la dame du premier ? ” Avec ces deux mots gros d’allusions, il me fermait la bouche.
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Les noms changent, sans que s’interrompe l’enchaînement des coups, comme on dit: le coup du 20 août 53, le coup du 6
Le roman de Pierrotte
Quand Pierrotte avait vingt ans, si on lui avait prédit qu’un jour il succéderait à M. Lalouette dans le commerce des porcelaines, qu’il aurait deux cent mille francs chez son notaire, – Pierrotte, un notaire ! – et une superbe boutique à l’angle du passage du Saumon, on l’aurait beaucoup étonné.
Pierrotte, à vingt ans, n’était jamais sorti de son village, portait de gros esclots en sapin des Cévennes, ne savait pas un mot de français et gagnait cent écus par an à élever des vers à soie; solide compagnon du reste, beau danseur de bourrée, aimant rire et chanter la gloire, mais toujours d’une manière honnête et sans faire de tort aux cabaretiers. Comme tous les gars de son âge, Pierrotte avait une bonne amie, qu’il allait attendre le dimanche à la sortie des vêpres pour l’emmener danser des gavottes sous les mûriers. La bonne amie de Pierrotte s’appelait Roberte, la grande Roberte. C’était une belle magnanarelle de dix-huit ans, orpheline comme lui, pauvre comme lui, mais sachant très bien lire et écrire, ce qui, dans les villages cévenols, est encore plus rare qu’une dot. Très fier de sa Roberte, Pierrotte comptait l’épouser dès qu’il aurait tiré au sort; mais le jour du tirage arrivé, le pauvre Cévenol — bien qu’il eût trempé trois fois sa main dans l’eau bénite avant d’aller à l’urne, — amena le numéro 4… Il fallait partir. Quel désespoir !… Heureusement Mme Eyssette, qui avait été nourrie, presque élevée, par la mère de Pierrotte, vint au secours de son frère de lait et lui prêta deux mille francs pour s’acheter un homme. — On était riche chez les Eyssette dans ce temps-là ! – L’heureux Pierrotte ne partit donc pas et put épouser sa Roberte; mais comme ces braves gens tenaient avant tout à rendre l’argent à Mme Eyssette et qu’en restant au pays ils n’y seraient jamais parvenus, ils eurent le courage de s’expatrier et marchèrent sur Paris pour y chercher fortune.
Pendant un an, on n’entendit plus parler de nos montagnards; puis, un beau matin, Mme Eyssette reçut une lettre touchante signée “ Pierrotte et sa femme, ” qui contenait 300 francs, premiers fruits de leurs économies. La seconde année, nouvelle lettre de “ Pierrotte et sa femme ” avec un envoie de 500 francs. La troisième année, rien. — Sans doute, les affaires ne marchaient pas. — La quatrième année, troisième lettre de “ Pierrotte et sa femme ” avec un dernier envoi de 1200 francs et des bénédictions pour toute la famille Malheureusement, quand cette lettre arriva chez nous, nous étions en pleine débâcle: on venait de vendre la fabrique, et nous aussi nous allions nous expatrier… Dans sa douleur Madame Eyssette oublia de répondre à “ Pierrotte sa femme, ” et, depuis lors, nous ne n’en eûmes plus de nouvelles, jusqu’au jour où Jacques, arrivant à Paris, trouva le beau Pierrotte – Pierrotte sans sa femme, hélas ! – installé dans le comptoir de l’ancienne maison Lalouette.
Rien de moins poétique, rien de plus touchant que l’histoire de cette fortune. En arrivant à Paris, la femme de Pierrotte s’était mise bravement à faire des ménages. La première maison fut justement la maison Lalouette. Ces Lalouette était de riches commerçants avares et maniaques, qui n’avaient jamais voulu prendre ni un commis ni une bonne, parce qu’il faut tout faire par soi-même (” Monsieur, jusqu’à cinquante ans, j’ai fait mes culottes moi-même ! ” disait le père Lalouette avec fierté), et qui, sur leurs vieux jours seulement, se donnaient le luxe flamboyant d’une femme de ménage à douze francs par mois. Dieu sait que ces douze francs-là, l’ouvrage les valait bien ! La boutique, l’arrière-boutique, un appartement au quatrième, deux seilles d’eau pour la cuisine à remplir tous les matins ! Il fallait venir des Cévennes pour accepter de pareilles conditions; mais bah ! La Cévenole était jeune, alerte, rude au travail et solide des reins comme une jeune taure; en un tour de main, elle expédiait ce gros ouvrages et, par-dessus le marché, montrait tout le temps aux deux vieillards sont joli rire, qui valait plus de douze francs à lui tout seul… À force de belle humeur et de vaillance, cette courageuse montagnarde finit par séduire ses patrons. On s’intéressa à elle; on la fit causer; puis un jour, spontanément, – les cœurs les plus secs ont parfois de ces soudaines floraison de bonté, – le vieux Lalouette offrit de prêter un peu d’argent à Pierrotte pour qu’il pût entreprendre un commerce à son l’idée.
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La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau, Et m'oblige à venger, après ce coup funeste, Celle que je n'ai plus sur celle qui me reste. Le Cid. Pierre Corneille
La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau, Et m'oblige à venger, après ce coup funeste, Celle que je n'ai plus sur celle qui me reste. Le Cid. Pierre Corneille