I
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D’ivresse et de grandeur, le front vaste, riant,
Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d’or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
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Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée,
Un jour qu’il s’en allait effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée,
Un jour qu’il s’en allait – «Orémus», – un méchant
Le prit rudement par son oreille benoîte
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite
Châtiment !… Ses habits étaient déboutonnés,
Et, le long chapelet des péchés pardonnés
S’égrenant dans son cœur, saint Tartufe était pâle !…
Donc, il se confessait, priait, avec un râle !
L’homme se contenta d’emporter ses rabats…
-Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !
Arthur Rimbaud
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d’un vieux Noël !
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles:
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles …
On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid d’où s’échappe un petit frisson d’aile:
Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
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Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l’amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte !
– O Vénus, ô déesse !
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas ; je ne penserai rien:
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, -heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
Arthur Rimbaud
La chambre est pleine d’ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève…
– Au dehors, les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux.
Et la nouvelle année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs et chante en grelottant…
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Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah ! j’ai vu que tout est vain sous le soleil !
Qu’on vive, ô quelle délicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie !
O pensée aboutissant à la folie !
Va, pauvre, dors ! moi, l’effroi pour toi m’éveille.
Ah ! misère de t’aimer, mon frêle amour
Qui vas respirant comme on respire un jour !
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez, c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète !
Ecoutez ! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie,
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.
Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
Que la lune encore décharne,
Tout mon passé, disons tout mon remords,
Ricane à travers ma lucarne.
Avec la voix d’un vieillard très cassé,
Comme l’on n’en voit qu’au théâtre,
Tout mon remords, disons tout mon passé,
Fredonne un tralala folâtre.
Avec les doigts d’un pendu déjà vert
Le drôle agace une guitare