D’être échappé des mains de cette gent cruelle,
Qui sous un faux semblant d’amitié mutuelle
Nous dérobe le bien, et la vie, et l’honneur!
Où tu es, mon Dagaut, la secrète rancoeur,
Le soin qui comme une hydre en nous se renouvelle,
L’avarice, l’envie, et la haine immortelle
Du chétif courtisan n’empoisonnent le coeur.
Apparoir une biche et disparoir soudain,
Et dessus le tombeau d’un empereur romain
Une vieille carafe élever pour enseigne:
Ne voir qu’entrer soldats et sortir en campagne,
Emprisonner seigneurs pour un crime incertain,
Retourner forussiz et le Napolitain
Commander en son rang à l’orgueil de l’Espagne:
De ces rouges prélats la pompeuse apparence,
Leurs mules, leurs habits, leur longue révérence,
Qui se peut beaucoup mieux représenter que dire.
Il vous racontera, s’il les sait bien décrire,
Les moeurs de cette cour, et quelle différence
Se voit de ces grandeurs à la grandeur de France,
Et mille autres bons points, qui sont dignes de rire.
Vers les bains d’Antonin ou Dioclétien.
Et si quelque oeuvre encor dure plus ancien
De la porte Saint-Paul jusques à Ponte-mole:
Je déteste à part moi ce vieux faucheur, qui vole,
Et le ciel, qui ce tout a réduit en un rien:
Puis songeant que chacun peut répéter le sien,
Je me blâme, et connais que ma complainte est folle.
Voir un pauvre cadet l’ordre au col soutenir,
Un petit compagnon aux états parvenir,
Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire fête.
Mais voir un estafier, un enfant, une bête,
Un forfant, un poltron cardinal devenir,
Et pour avoir bien su un singe entretenir
Un Ganymède avoir le rouge sur la tête:
Ont leur tronc, et leur cep, et leur semence aussi,
Et s’on voit au retour du printemps adouci
Naître de toutes parts violettes et roses;
Ni fruits, raisins, ni blés, ni fleurettes décloses
Sortiront, viateur, du corps qui gît ici:
Aulx, oignons, et porreaux, et ce qui fleure ainsi,
Auront ici dessous leurs semences encloses.
Et si de tes parents les regrets quelquefois,
Combien, cruel Amour, que sans amour tu sois,
T’ont fait sentir le deuil de leur complainte amère:
C’est or qu’il faut montrer ton flambeau sans lumière,
C’est or qu’il faut porter sans flèches ton carquois,
C’est or qu’il faut briser ton petit arc turquois,
Renouvelant le deuil de ta perte première.
Dit le proverbe vieil:
mais nous voyons ici
De tout bois faire pape, et cardinaux aussi,
Et vêtir en trois jours tout une autre figure.
Les princes et les rois viennent grands de nature:
Aussi de leurs grandeurs n’ont-ils tant de souci,
Comme ces dieux nouveaux, qui n’ont que le sourcil
Pour faire révérer leur grandeur, qui peu dure.
Où nous voyons chacun divers chemins tenir,
Et aux plus hauts honneurs les moindres parvenir,
Par vice, par vertu, par travail, et sans peine?
L’un fait pour s’avancer une dépense vaine,
L’autre par ce moyen se voit grand devenir,
L’un par sévérité se sait entretenir,
L’autre gagne les coeurs par sa douceur humaine: