Sur l’avenir j’ose interroger Dieu.
Pour châtier les princes de la terre,
Dans l’ancien monde un déluge aura lieu.
Déjà, près d’eux, l’Océan sur ses grèves
Mugit, se gonfle: il vient, maîtres, voyez !
Voyez, leur dis-je. Ils répondent: Tu rêves.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Que vous ont fait, mon Dieu, ces bons monarques !
Il en est tant dont on bénit les lois.
Des jougs trop lourds si nous portons les marques,
C’est qu’en oubli le peuple a mis ses droits.
Pourtant les flots précipitent leur marche
Contre ces chefs jadis si bien choyés.
Faute d’esprit pour se construire une arche,
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Qui parle aux flots ? un despote d’Afrique,
Noir fils de Cham, qui règne les pieds nus.
Soumis, dit-il, à mon fétiche antique,
Flots qui grondez, doublez mes revenus.
Et ce bon roi, prélevant un gros lucre
Sur les forbans à la traite employés,
Vend ses sujets pour nous faire du sucre.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Accourez tous ! crie un sultan d’Asie:
Femmes, vizirs, eunuques, icoglans.
Je veux des flots, domptant la frénésie,
Faire une digue avec vos corps sanglants.
Dans son sérail tout parfumé de fêtes,
D’où vont s’enfuir ses gardes effrayés,
Il fume, il baîlle, il fait voler des têtes.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Dans notre Europe, où naît ce grand déluge,
Unis en vain pour se prêter secours,
Tous ont crié: Dieu, soyez notre juge.
Dieu leur répond: Nagez, nagez toujours.
Dans l’Océan ces augustes personnes
Vont s’engloutir; leurs trônes sont broyés;
On bat monnaie avec l’or des couronnes.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Cet Océan, quel est-il, ô prophète ?
Peuples, c’est nous, affranchis de la faim,
Nous, plus instruits, consommant la défaite
De tant de rois inutiles enfin.
Dieu fait passer sur ces fils indociles
Nos flots mouvants si longtemps fourvoyés.
Puis, le ciel brille et les flots sont tranquilles.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Chansons
Pierre Jean de Béranger