A Mademoiselle de Rohan, sur la mort de Madame la duchesse de Nevers
Je vous donne ces vers pour nourrir vos douleurs
Puisque cette Princesse est digne de vos pleurs,
Et ne veux point reprendre un deuil si légitime.
Pour elle vos regrets prennent un juste cours,
Et de les arrêter je croirais faire un crime
Aussi bien que la mort en arrêtant ses jours.
Je sais bien que votre âme assez robuste et saine,
Avec son discours a combattu sa peine,
Et qu'elle a vainement cherché sa guérison:
Y tâcher après vous on le peut sans blâme,
Car je ne pense pas qu'on trouve en la raison
Ce que vous ne pouvez trouver dedans votre âme.
Les plus cuisants malheurs trouvent allégement
Après que le devoir a rendu sagement
Tout ce que l'amitié demande à la nature,
Mais lorsque mon esprit songe à vous consoler
Contre les sentiments d'une perte si dure,
Plus je suis préparé, moins j'ai de quoi parler.
Tandis que la mémoire à vos sens renouvelle
L'éclat de la vertu qui reluisait en elle,
Vous nourrissez en vain quelque espoir de guérir;
Et quand le souvenir d'une amitié si ferme,
Pour guérir votre ennui se laissera mourir,
Croyez que votre vie est proche de son terme.
Aussi cette Princesse étant loin de vos yeux
Le jour de tous vos maux est le plus odieux:
La mort de vos langueurs est la moins inhumaine.
Quelque part de la terre où vous fassiez séjour,
Il ne vous reste plus que des objets de haine,
Après avoir perdu l'objet de votre amour.
De moi, si la rigueur d'un accident semblable
M'avait ôté le fruit d'un bien si désirable,
Je croirais que pour moi tout n'aurait que du mal:
Mes pieds ne s'oseraient assurer sur la terre,
Le jour m'offenserait, l'air me serait fatal,
Et la plus douce paix me serait une guerre.
Aigrissez-vous toujours d'un chagrin plus récent;
Que votre âme, en flattant l'ennui qu'elle ressent,
Pour si chère compagne incessamment soupire;
Jamais son entretien ne vous sera rendu,
Et le Ciel réparant vos pertes d'un empire,
Vous donnerait bien moins que vous n'avez perdu.