Les cloches par trois fois, dans l’heure fugitive
Du jour, viennent frapper notre oreille attentive,
En tout endroit chrétien où nous portons nos pas.
Et comme dans les jours, trois fois dans notre vie,
Aux instants solennels, vibre leur harmonie :
Le baptême, l’hymen et les sanglots du glas !
Car elles ont un sens, comme l’accent des lèvres ;
Elles disent l’ardeur de nos mystiques fièvres,
Elles ont des sanglots comme nos désespoirs ;
Elles sonnent l’orgueil de nos apothéoses,
Et semblent s’attendrir sur les larmes des choses,
Ou palpiter d’extase en le calme des soirs.
Sublimes seulement alors que nous le sommes,
Avec la barbarie et la haine des hommes
Leur inerte métal connaît les noirs destins :
Se laissant abaisser à l’horreur de la guerre,
Il peut sonner, clairon, la charge meurtrière ;
Ou gronder dans la voix des canons assassins.
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Quand les pâleurs de l’aube ont chassé les étoiles,
Déjà sont disparus les brouillards et les voiles ;
L’horizon s’illumine à l’orient vermeil,
Sur le satin des fleurs le cristal des nuits tremble. ―
La cloche et les oiseaux vont célébrer ensemble
La gaîté toujours belle et neuve du réveil.
Lorsque des cieux muets la volonté profonde
Jette un être de plus à l’arène du monde,
La cloche sonne encor : c’est un autre matin !
Vers le secret d’en haut, sa musique envolée,
Pour l’enfant qui survient dans la rude mêlée,
Doit sans doute implorer l’implacable destin.
Il est l’heure où tout luit. La rose qui se pâme.
Tend son front aux baisers de la céleste flamme ;
Sur les floraisons d’or le soleil glorieux
Répand à pleins rayons la chaleur généreuse…
L’Angélus va jeter sa note harmonieuse
Dans l’éblouissement du midi radieux.
Les humains ont aussi leurs midis de lumière.
Dans l’opulence digne ou la pauvreté fière,
Quand deux cœurs amoureux, par un serment loyal,
Joignent leurs avenirs dans la même espérance,
L’airain, comme pour l’astre à l’apogée immense
Clame aux échos lointains l’hosanna triomphal !
Voici l’heure où le vent s’apaise dans les branches.
Les colombes des bois, fermant leurs ailes blanches,
Arrêtent, pour dormir, leur babil réjoui…
Dans la limpide paix du divin crépuscule,
C’est encore l’accent des cloches qui module
Un adieu solennel au jour évanoui.
Quand nos sombres déclins touchent à leurs limites ;
Quand déjà la grande ombre envahit nos orbites
Où l’éclair du regard éteint les feux sacrés ;
Pour scander le chagrin de ceux qui nous regrettent
Et pour qu’au fond des cœurs des sanglots les répètent,
Le glas gémit dans l’air ses adieux éplorés.
Planant sur la clameur sourde des multitudes,
Les cloches vont troubler les fières altitudes,
Pour pleurer nos chagrins dans les abîmes bleus ;
Car l’azur est trop loin de la misère humaine,
Pour que, de notre voix impuissante, il apprenne
Ce que la vie impose à nos cœurs douloureux.
Pendant bien des midis, pendant bien des aurores,
Et pendant bien des soirs, les mêmes bruits sonores
Charmeront l’avenir. Et leurs vibrations
Salueront les berceaux de leurs tendresses saintes,
Ou sur d’autres cercueils feront tomber leurs plaintes,
Seules auront changé les générations !
Ainsi, tout notre orgueil à peine dure une heure,
Mais ce qu’il a créé dans cet instant, demeure
Pour narguer la morsure outrageante du Temps !
Cloches ! nous enfermons dans vos flancs une idée
Pour que votre harmonie en nos cœurs accordée,
Redise notre extase aux échos éclatants.
Hélas ! nous nous taisons avant vous sur la terre.
Mais quand vous résonnez, ainsi qu’une prière,
Sur le recueillement de la foule à genoux,
Vous n’êtes que le bruit ; nous sommes la Pensée !…
Votre bronze sublime où notre âme est passée,
Ne peut parler à Dieu qu’en lui parlant de nous !
Sonnez !… Quand vos accents s’éteindront dans l’espace
Quand vous aurez subi le sort de ce qui passe
Par l’instabilité des empires mortels ;
Après votre néant, dans l’éther insondable,
Le souvenir ému de l’âme impérissable
Apprendra votre gloire aux demains éternels !