Les oiseaux ressemblent tellement aux hommes qu’ils doivent avoir une âme …
J’ai vu des hirondelles construire leur nid, couver patiemment au fond
d’une boîte étroite par des jours torrides, je les ai vues nourrir – ou
gaver – leur progéniture, faisant, pour contenter d’insatiables
appétits, des centaines de voyages; je les ai vues enseigner à leurs
nouveau-nés l’art merveilleux du vol, avec des cris presque humains,
des tendresses alarmées, des attentions minutieuses, des joies dont
frémissait tout leur corps de plume; je les ai vues ramener leurs
petits à la maison natale, au soleil couchant, et leur parler, et leur
dire de ne plus sortir, et rester auprès d’eux quelque temps, les
caressant des yeux et du bec, et s’éloigner pour la nuit, pendant que
de fines têtes bleues, un peu penchées, regardaient, dociles, mais avec
de fous désirs de les suivre, monter en plein azur, rapides, le père et
la mère. Et la porte ronde devenait insensiblement un trou noir d’où
s’échappaient des gazouillements, et c’était le silence et le sommeil
pour jusqu’à l’aube prochaine.
Les petites hirondelles ignorent le danger, comme des enfants qu’elles
sont. Mais que de craintes torturent le coeur des vieux, depuis la
minute solennelle où l’oiseau sort de l’oeuf jusqu’au moment de l’envol
éperdu, de l’essor enivré dans l’immense espace ! Il n’est plus
d’instant sans angoisse ni fatigue : il faut chasser la mouche
minuscule et, plus tard, l’énorme libellule, en veillant à sa sécurité,
– parfois une pierre peut vous atteindre; – il faut dérouter les autres
hirondelles que votre proie allèche, rentrer au nid souvent avec ruse,
distribuer la nourriture, et ressortir, haletante, le bec large ouvert,
et repartir !
Déjà, les petits se pourvoient à eux-mêmes ; ils gobent des mouches
avec frénésie, ils gobent, ils gobent ! Ils iront aussi se coucher
dehors, dans les arbres. A mesure qu’ils croissent en force, en
expérience, pauvres parents, ils se détachent de vous ! La vie est
ainsi faite.
Billets du soir
Albert Lozeau