La Bonne tactique

Dans  Les Satires
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Un matin, dégoûté de la rime indocile,
Dans un coin populeux de notre grande ville
J’errais, quand tout à coup s’élève une rumeur.
Un homme s’enfuyait en criant : au voleur !
Et désignait du doigt la route présumable
Que dans son vif élan avait pris le coupable.



Et chacun de bondir vers l’endroit qu’il montrait :
Mais lui par un détour à l’opposé courait,
Laissant s’évertuer le menu populaire
Après l’ombre du gueux qui n’était que chimère.
Le vrai voleur, c’était lui-même… et par son mot,
Le drôle ! Il avait mis tout le monde en défaut…

Or, comme j’admirais ce tour de passe-passe
Et comme on en impose à l’ignorante masse,
À part moi je me dis : au monde des salons
Que de pareilles gens aujourd’hui nous voyons !
C’est le jeu, par trop sot serait le personnage
Qui se présenterait sans un masque au visage
Dans ce champ de lumière et de publicité
Où vit si follement notre société.

Que veut-on ? Usurper l’honneur et les hommages
Naturellement dus à la vertu des sages ;
Non, ce but de nos jours n’agite point le cœur
Et l’on a peu souci de paraître meilleur.
Ce qu’on cherche plutôt, c’est un bon artifice
Qui permette à chacun de suivre en paix son vice,
Sans craindre le scandale et les cris indiscrets
Des gratteurs de papier, des faiseurs de caquets.
Pour cela de la règle on revêt l’apparence
Et, sous ce domino de parfaite décence,
Dans le raout mondain, jusqu’aux derniers moments.
On donne libre cours à ses débordements.
Ainsi, sans rappeler la commune rouerie
De tous ces fins escrocs de bonne compagnie
Qui savent attirer votre or de leur côté
En se donnant des airs d’austère probité,
Que d’autres vont mettant la recette en usage !
Don Juan est marguillier et pousse au mariage.
Valère le joueur, héros du lansquenet,
Qui sur le tapis vert de son tripot secret
Du Pactole vingt fois épuiserait la source,
Déclare à tout venant qu’il faut fermer la bourse.
Phryné, riche du bien de plus de vingt amants,
Et le cou ruisselant d’or et de diamants,
S’irrite à tout propos du luxe des lorettes
Et demande un décret qui borne leurs toilettes.
Puis l’on entend l’avide et gras Trimalcion
Tonner contre la table et sa profusion.
Soulouque larmoyant flétrit la tyrannie,
Et Basile indigné crie à la calomnie.

Publié en 1856.



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