I
Un jour que de l’État le vaisseau séculaire,
Fatigué trop longtemps du roulis populaire,
Ouvert de toutes parts, à demi démâté,
Sur une mer d’écueils, sous des cieux sans étoiles,
Au vent de la terreur qui déchirait ses voiles,
S’en allait échouer la jeune liberté ;
Tous les rois de l’Europe, attentifs au naufrage,
Tremblèrent que la masse, en heurtant leur rivage,
Ne mît du même choc, les trônes au néant ;
Alors, comme forbans qui guettent une proie,
On les vit tous s’abattre avec des cris de joie,
Sur les flancs dégarnis du colosse flottant.
Mais, lui, tout mutilé des coups de la tempête,
Se dressa sur sa quille, et relevant la tête,
Hérissa ses sabords d’un peuple de héros,
Et rallumant soudain ses foudres désarmées,
Comme un coup de canon lâcha quatorze armées,
Et l’Europe à l’instant rentra dans son repos.
II
Sombre quatre-vingt-treize, épouvantable année,
De lauriers et de sang grande ombre couronnée,
Du fond des temps passés ne te relève pas !
Ne te relève pas pour contempler nos guerres,
Car nous sommes des nains à côté de nos pères,
Et tu rirais vraiment de nos maigres combats.
Oh ! Nous n’avons plus rien de ton antique flamme,
Plus de force au poignet, plus de vigueur dans l’âme,
Plus d’ardente amitié pour les peuples vaincus ;
Et quand parfois au coeur il nous vient une haine,
Nous devenons poussifs, et nous n’avons d’haleine
Que pour trois jours au plus.
Janvier 1831.