Pour dire hardiment, selon toute ma foi,
Ce que j’ai sur le coeur, contre ces pamphlétaires
Qui de volcans boueux fécondent les cratères,
Jettent au vent l’honneur des réputations,
Et mentent à la muse, ainsi qu’aux nations.
Aboyeurs de places publiques,
Brocanteurs de sales reliques,
Que vous nommez la liberté ;
Arrière, arrière les Pilates,
Les donneurs de louanges plates
Au monstre popularité !
La satire, en ses anathèmes,
N’a pas besoin d’impurs blasphèmes,
Coupables indignations,
Allez dans la voie ; elle est ample
Mais vous souillez le seuil du temple,
Vendeurs de profanations.
Je descends vers vous, moi, poète,
Armé de la verge qui fouette
Les hypocrites de vertu ;
Et sous de luisantes écailles,
Je fouillerai dans vos entrailles…
Et je crierai : Toi, que veux-tu,
Toi qui renias un beau rôle ;
Qui ne sais pas que la parole
Ne doit jamais homicider :
Toi qui deviens un mauvais ange ;
Et sur des colonnes de fange,
Sembles à l’aise t’accouder !
Toi qui gagnes un vil pécule
À trafiquer le ridicule,
À mâcher toujours du venin ;
Et sous le luxe de tes rimes,
Glisses des mots, qui sont des crimes ;
Oui, toi, versificateur nain,
Oui, que veux-tu ? jugeons tes comptes.
Montre-moi le tarif des hontes,
Que darde ton vers avili !
Pourquoi des peuples qu’on égare
Façonner, menteur et barbare,
Ces haines qui prennent le pli ?…
Pourquoi, profès en calomnie,
De la vieillesse ou du génie
Arracher un fil au manteau ;
Et pour de misérables sommes,
Jeter en pâture des hommes
Aux fureurs de ton Alecto ?…
Ah ! c’est vous qui l’avez tuée
La satire, prostituée,
Dont le pouvoir est impuissant,
Parce que fausse, haïssable,
Elle a fait mentir sur le sable
Des lignes écrites au sang !
Est-ce donc là que vous en êtes,
Qu’il ne vous faut plus que des têtes,
Et vous regardez à l’entour !
Comme si toi, que l’on vénère,
Ô ma Liberté, dans ton aire,
Tu couvais des veufs de vautour !
Ma sainte Liberté, je t’aime,
Sans foudroyer d’un anathème,
Sans maudire un seul nom humain ;
Car on se repent de maudire,
De s’être gonflé le coeur d’ire,
Quand l’histoire a son lendemain.
Après l’orage de la veille,
L’humanité, qui se réveille,
Voyant tant de germes éclos,
Tant de vérités, qu’on sait vite,
Tant d’épreuves, que l’on évite,
Et d’engrais derrière les flots,
Se rassure en la Providence,
Qui d’une oublieuse imprudence
Ne compromet pas l’avenir :
Si le progrès d’hier s’enraie,
C’est qu’une vérité plus vraie,
Pour le dépasser va venir !
Or, gardons mieux nos âmes chastes.
N’oublions plus que les contrastes
S’harmonisent par une loi.
Laissons les passions s’éteindre ;
Si quelqu’un erre, aimons le plaindre ;
Respectons quiconque a sa foi.
Ainsi votre tête se grise
D’une liberté mal comprise,
Rétrogrades républicains,
Vous, qui d’un siècle ôtez la pierre,
Afin d’exhumer Robespierre,
Dictateur pour des mannequins !
Ce n’est pas moi qui la renie,
Dans les luttes de son génie,
La grande révolution.
Elle a travaillé sa journée ;
Sa moisson fut bien moissonnée ;
Son char ouvrit notre sillon.
Lorsque l’Europe était en boule ;
Lorsque les peuples faisaient foule,
Se dressant en monts ennemis ;
Elle ne perdit pas courage,
Et remua, belle de rage,
Chaque sol où son pied s’est mis !
Certes, messieurs les jeunes hères,
Certes vous avez eu des pères
Dont les ombres s’allongent haut :
Mais vous qui finissez la tâche,
Ne regrettez point une tache ;
N’espérez plus en l’échafaud !
Ah ! plus heureux, de la morale,
De la religion qui râle,
Purs, défendez les intérêts.
Ceux-là brilleront sur les autres,
Qui vont, pacifiques apôtres,
À son tour, servir ce progrès.
La loi politique n’a force,
Que si le luxe de l’écorce
Vient de la sève du dedans
Orgueilleuses impatiences,
Régénérez les consciences
Celui qui prouve, c’est le temps !
19 juillet 1831.
Textes poétiques
Charles Lassailly