Britannicus ACTE V Scène III
Agrippine, Junie
Agrippine
Madame, ou je me trompe, ou durant vos adieux,
Quelques pleurs répandus ont obscurci vos yeux.
Puis-je savoir quel trouble a formé ce nuage ?
Doutez-vous d’une paix dont je fais mon ouvrage ?
Junie
Après tous les ennuis que ce jour m’a coûtés,
Ai-je pu rassurer mes esprits agités ?
Hélas ! à peine encor je conçois ce miracle,
Quand même à vos bontés, je craindrais quelque obstacle,
Le changement, Madame, est commun à la cour,
Et toujours quelque crainte accompagne l’amour.
Agrippine
Il suffit. J’ai parlé, tout a changé de face.
Mes soins à vos soupçons ne laissent point de place.
Je réponds d’une paix jurée entre mes mains,
Néron m’en a donné des gages trops certains.
Ah ! si vous aviez vu par combien de caresses
Il m’a renouvelé la foi de ses promesses !
Par quels embrassements il vient de m’arrêter !
Ses bras, dans nos adieux, ne pouvaient me quitter.
Sa facile bonté, sur son front répandue,
Jusqu’aux moindres secrets est d’abord descendue:
Il s’épanchait en fils qui vient en liberté
Dans le sein de sa mère oublier sa fierté,
Mais bientôt, reprenant un visage sévère,
Tel que d’un empereur qui consulte sa mère,
Sa confidence auguste a mis entre mes mains
Des secrets d’où dépend le destin des humains.
Non, il le faut ici confesser à sa gloire,
Son cœur n’enferme point une malice noire,
Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté,
Abusaient contre nous de sa facilité.
Mais enfin, à son tour, leur puissance décline;
Rome encore une fois va connaître Agrippine;
Déjà de ma faveur on adore le bruit.
Cependant en ces lieux n’attendons pas la nuit:
Passons chez Octavie, et donnons-lui le reste
D’un jour autant heureux que je l’ai cru funeste.
Mais qu’est-ce que j’entends ? Quel tumulte confus ?
Que peut-on faire ?
Junie
O ciel ! sauvez Britannicus !
La pièce de Théâtre Britannicus par Jean Racine.