Le Misanthrope ACTE IV Scène 4
Par Jean Baptiste Poquelin dit Molière
Célimène, Alceste, Dubois.
Alceste
Que veut cet équipage et cet air effaré ?
Qu’as-tu ?
Dubois
Monsieur…
Alceste
Hé bien ?
Dubois
Voici bien des mystères.
Alceste
Qu’est-ce ?
Dubois
Nous sommes mal, monsieur, dans nos affaires.
Alceste
Quoi !
Dubois
Parlerai-je haut ?
Alceste
Oui, parle, et promptement.
Dubois
N’est-il point là, quelqu’un ?
Alceste
Ah ! que d’amusement !
Veux-tu parler ?
Dubois
Monsieur, il faut faire retraite.
Alceste
Comment ?
Dubois
Il faut d’ici déloger sans trompette.
Alceste
Et pourquoi ?
Dubois
Je vous dis qu’il faut quitter ce lieu.
Alceste
La cause ?
Dubois
Il faut partir, monsieur, sans dire adieu.
Alceste
Mais par quelle raison me tiens-tu ce langage ?
Dubois
Par la raison, monsieur, qu’il faut plier bagage.
Alceste
Ah ! je te casserai la tête assurément,
Si tu ne veux, maraud, t’expliquer autrement.
Dubois
Monsieur, un homme noir et d’habit et de mine,
Est venu nous laisser, jusque dans la cuisine,
Un papier griffonné d’une telle façon,
Qu’il faudrait, pour le lire, être pis que démon.
C’est de votre procès, je n’en fais aucun doute;
Mais le diable d’enfer, je crois, n’y verrait goutte.
Alceste
Hé bien ? quoi ? ce papier, qu’a-t-il à démêler,
Traître, avec le départ dont tu viens me parler ?
Dubois
C’est pour vous dire ici, monsieur, qu’une heure ensuite,
Un homme qui souvent vous vient rendre visite,
Est venu vous chercher avec empressement,
Et ne vous trouvant pas, m’a chargé doucement,
Sachant que je vous sers avec beaucoup de zèle,
De vous dire… Attendez, comme est-ce qu’il s’appelle ?
Alceste
Laisse là son nom, traître, et dis ce qu’il t’a dit.
Dubois
C’est un de vos amis; enfin cela suffit.
Il m’a dit que d’ici votre péril vous chasse,
Et que d’être arrêté le sort vous y menace.
Alceste
Mais quoi ! n’a-t-il voulu te rien spécifier ?
Dubois
Non. Il m’a demandé de l’encre et du papier,
Et vous a fait un mot, où vous pourrez, je pense,
Du fond de ce mystère avoir la connaissance.
Alceste
Donne-le donc.
Célimène
Que peut envelopper ceci ?
Alceste
Je ne sais; mais j’aspire à m’en voir éclairci.
Auras-tu bientôt fait, impertinent au diable ?
Dubois, après l’avoir longtemps cherché.
Ma foi, je l’ai, Monsieur, laissé sur votre table.
Alceste
Je ne sais qui me tient.
Célimène
Ne vous emportez pas,
Et courez démêler un pareil embarras.
Alceste
Il semble que le sort, quelque soin que je prenne,
Ait juré d’empêcher que je vous entretienne;
Mais, pour en triompher, souffrez à mon amour
De vous revoir, madame, avant la fin du jour.
Fin du quatrième acte.
Le Misanthrope Acte IV Scène 4
Une pièce de théâtre de Molière