Horace ACTE V Scène I
Horace par Pierre Corneille
Le vieil Horace
Retirons nos regards de cet objet funeste,
Pour admirer ici le jugement céleste:
Quand la gloire nous enfle, il sait bien comme il faut
Confondre notre orgueil qui s’élève trop haut.
Nos plaisirs les plus doux ne vont point sans tristesse;
Il mêle à nos vertus des marques de faiblesse,
Et rarement accorde à notre ambition
L’entier et pur honneur d’une bonne action.
Je ne plains point Camille: elle était criminelle;
Je me tiens plus à plaindre, et je te plains plus qu’elle:
Moi, d’avoir mis au jour un cœur si peu romain;
Toi, d’avoir par sa mort déshonoré ta main.
Je ne la trouve point injuste ni trop prompte;
Mais tu pouvais, mon fils, t’en épargner la honte:
Son crime, quoique énorme et digne du trépas,
Était mieux impuni que puni par ton bras.
Horace
Disposez de mon sang, les lois vous en font maître;
J’ai cru devoir le sien aux lieux qui m’ont vu naître.
Si dans vos sentiments mon zèle est criminel,
S’il m’en faut recevoir un reproche éternel,
Si ma main en devient honteuse et profanée,
Vous pouvez d’un seul mot trancher ma destinée:
Reprenez tout ce sang de qui ma lâcheté
A si brutalement souillé la pureté.
Ma main n’a pu souffrir de crime en votre race;
Ne souffrez point de tache en la maison d’Horace.
C’est en ces actions dont l’honneur est blessé
Qu’un père tel que vous se montre intéressé:
Son amour doit se taire où toute excuse est nulle;
Lui-même il y prend part lorsqu’il les dissimule;
Et de sa propre gloire il fait trop peu de cas,
Quand il ne punit point ce qu’il n’approuve pas.
Le vieil Horace
Il n’use pas toujours d’une rigueur extrême;
Il épargne ses fils bien souvent pour soi-même;
Sa vieillesse sur eux aime à se soutenir,
Et ne les punit point, de peur de se punir.
Je te vois d’un autre œil que tu ne te regardes;
Je sais… Mais le roi vient, je vois entrer ses gardes.
Horace ACTE V Scène I
La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.