L’infante
T’écouterai-je encor, respect de ma naissance,
——Qui fais un crime de mes feux ?
T’écouterai-je, amour, dont la douce puissance
Contre ce fier tyran fait révolter mes vœux ?
——Pauvre princesse, auquel des deux
——Dois-tu prêter obéissance ?
Rodrigue, ta valeur te rend digne de moi;
Mais, pour être vaillant, tu n’es pas fils de roi.
Impitoyable sort, dont la rigueur sépare
——Ma gloire d’avec mes désirs,
Est-il dit que le choix d’une vertu si rare
Coûte à ma passion de si grands déplaisirs ?
——Ô cieux ! à combien de soupirs
——Faut-il que mon cœur se prépare,
Si jamais il n’obtient sur un si long tourment
Ni d’éteindre l’amour, ni d’accepter l’amant ?
Mais c’est trop de scrupule, et ma raison s’étonne
——Du mépris d’un si digne choix:
Bien qu’aux monarques seuls ma naissance me donne,
Rodrigue, avec honneur je vivrai sous tes lois.
——Après avoir vaincu deux rois,
——Pourrais-tu manquer de couronne ?
Et ce grand nom de Cid que tu viens de gagner
Ne fait-il pas trop voir sur qui tu dois régner ?
Il est digne de moi, mais il est à Chimène;
——Le don que j’en ai fait me nuit.
Entre eux la mort d’un père a si peu mis de haine,
Que le devoir du sang à regret le poursuit:
——Ainsi n’espérons aucun fruit
——De son crime, ni de ma peine,
Puisque pour me punir le destin a permis
Que l’amour dure même entre deux ennemis.
Le Cid ACTE V Scène II
L’infante
La pièce de Théâtre Le Cid par Pierre Corneille.