Elle a mis pour sourcils le plumage des geais.
Elle a mis dans ses yeux le jaspe et l’ hyacinthe.
D’ argent tissé, de soie et d’ or sa taille est ceinte.
Des roses du rosier elle a plein ses deux mains.
Elle revient du bain à l’ ombre des jasmins.
Quatre tours de sequins ornent sa gorge altière.
Elle revient du bain portée en sa litière.
“O ma sœur, vous avez les yeux d’ une houri.
N’ être pas votre frère, être votre mari !
Et si je suis ta sœur et femme de ton frère,
Va tuer mon mari, tu pourrais bien me plaire.
Comment tuer mon frère ? Il faut une raison,
Il faut une raison pour cette trahison.
Va le trouver et dis : ” je veux que l’ on partage ;
Pour moi la belle part je veux de l’ héritage ! ”
Il serre son khandjar, il monte son cheval,
Et hop et hop il va galopant par le val.
” Kostandi, Kostandi, je veux que l’ on partage ;
Pour moi la belle part je veux de l’ héritage.
Sois donc heureux, mon frère, et n’ aie aucun souci.
Pour toi la belle part, pour toi la mienne aussi. ”
la bonté de son frère amollit son courage.
Le front sur les genoux, il sanglote de rage.
Il serre son khandjar, il monte son cheval,
Et hop et hop il va galopant par le val.
“Ma sœur de l’ eau, de l’ eau que je lave ma lame
Du sang de ton mari, car il a rendu l’ âme. ”
Elle saisit un broc de vin clair, tellement
Dans sa joie effrénée elle a d’ empressement.
Il la prend par sa longue et belle chevelure,
Et lui tranche, d’ un coup, la tête à l’ encolure.
La tête dans sa main, il monte son cheval,
Et hop et hop il va galopant par le val.
“Mouds-la, meunier, et fais de la farine rouge,
Du fard pour la catin, et du fard pour la gouge.”
Les cantilènes Livre 4
Jean Moréas