Dom Juan – ACTE II, Scène première

Dans  Dom Juan ou le Festin de pierre
Evaluer cet article
ACTE II, Scène première

CHARLOTTE, PIERROT.

CHARLOTTE: Notre-dinse, Piarrot, tu t’es trouvé là bien à point.

PIERROT: Parquienne, il ne s’en est pas fallu l’épaisseur d’une éplinque qu’ils ne se sayant nayés tous deux.

CHARLOTTE: C’est donc le coup de vent da matin qui les avait renvarsés dans la mar ?

PIERROT: Aga, guien, Charlotte, je m’en vas te conter tout fin drait comme cela est venu; car, comme dit l’autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc j’estions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi par fouas je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j’ai aperçu de tout loin queuque chose qui grouillait dans gliau, et qui venait comme envars nous par secousse. Je voyais cela fixiblement, et pis tout d’un coup je voyais que je ne voyais plus rien. “Eh ! Lucas,ç’ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas.

– Voire, ce m’a-t-il fait, t’as esté au trépassement d’un chat, t’as la vue trouble. – Palsanquienne, ç’ai-je fait, je n’ai point la vue trouble: ce sont des hommes. – Point du tout, ce m’a-t-il fait, t’as la barlue. – Veux-tu gager, ç’ai-je fait, que je n’ai point la barlue, ç’ai-je fait, et que sont deux hommes, ç’ai-je fait, qui nageant droit ici ? ç’ai-je fait. – Morquenne, ce m’a-t-il fait, je gage que non. – O ! çà, ç’ai-je fait, veux-tu gager dix sols que si ? – Je le veux bian, ce m’a-t-il fait; et pour te montrer, vlà argent su jeu”, ce m’a-t-il fait. Moi, je n’ai point esté ni fou, ni estourdi; j’ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées, et cinq sols en doubles, jergniguenne, aussi hardiment que si j’avais avalé un varre de vin; car je ses hazardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savais bian ce que je faisais pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n’avons pas putost eu gagé, que j’avons vu les deux hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller quérir; et moi de tirer auparavant les enjeux. “Allons, Lucas, ç’ai-je dit, tu vois bian qu’ils nous appelont: allons viste à leu secours. – Non, ce m’a-t-il dit, ils m’ont fait pardre.” Ô ! donc, tanquia qu’à la parfin, pour le faire court, je l’ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j’avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tous nus pour se sécher, et pis il y en est venu encore deux de la mesme bande, qui s’equiant sauvés tout seul, et pis Mathurine est arrivée là, à qui l’en a fait les doux yeux. Vlà justement, Charlotte, comme tout ça s’est fait.

CHARLOTTE: Ne m’as-tu pas dit, Piarrot, qu’il y en a un qu’est bien pu mieux fait que les autres ?

PIERROT: Oui, c’est le maître. Il faut que ce soit queuque gros, gros Monsieur, car il a du dor à son habit tout depis le haut jusqu’en bas; et ceux qui le servont sont des Monsieux eux-mesmes; et stapandant, tout gros Monsieur qu’il est, il serait, par ma fique, nayé, si je n’aviomme esté là.

CHARLOTTE: Ardez un peu.

PIERROT: O ! parquenne, sans nous, il en avait pour sa maine de fèves.

CHARLOTTE: Est-il encore cheux toi tout nu, Piarrot ?

PIERROT: Nannain: ils l’avont rhabillé tout devant nous. Mon quieu, je n’en avais jamais vu s’habiller. Que d’histoires et d’angigorniaux boutont ces messieus-là les courtisans ! Je me pardrais là dedans, pour moi, et j’estais tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu teste; et ils boutont ça après tout, comme un gros bonnet de filace. Ils ant des chemises qui ant des manches où j’entrerions tout brandis, toi et moi. En glieu d’haut-de-chausse, ils portont un garde-robe aussi large que d’ici à Pasque; en glieu de pourpoint, de petites brassières, qui ne leu venont pas usqu’au brichet; et en glieu de rabats, un grand mouchoir de cou à reziau, aveuc quatre grosses houppes de linge qui leu pendont sur l’estomaque. Ils avont itou d’autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et parmi tout ça tant de rubans, tant de rubans, que c’est une vraie piquié. Ignia pas jusqu’aux souliers qui n’en soiont farcis tout depis un bout jusqu’à l’autre; et ils sont faits d’eune façon que je me romprais le cou aveuc.

CHARLOTTE: Par ma fi, Piarrot, il faut que j’aille voir un peu ça.

PIERROT: O ! acoute un peu auparavant, Charlotte: j’ai queuque autre chose à te dire, moi.

CHARLOTTE: Et bian ! dis, qu’est-ce que c’est ?

PIERROT: Vois-tu, Charlotte, il faut, comme dit l’autre, que je débonde mon cœur. Je t’aime, tu le sais bian, et je sommes pour estre mariés ensemble; mais marquenne, je ne suis point satisfait de toi.

CHARLOTTE: Quement ? qu’est-ce que c’est donc qu’iglia ?

PIERROT: Iglia que tu me chagraignes l’esprit, franchement.

CHARLOTTE: Et quement donc ?

PIERROT: Testiguienne, tu ne m’aimes point.

CHARLOTTE: Ah ! ah ! n’est que ça ?

PIERROT: Oui, ce n’est que ça, et c’est bian assez.

CHARLOTTE: Mon quieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la mesme chose.

PIERROT: Je te dis toujou la mesme chose, parce que c’est toujou la mesme chose; et si ce n’était pas toujou la mesme chose, je ne te dirais pas toujou la mesme chose.

CHARLOTTE: Mais qu’est-ce qu’il te faut ? Que veux-tu ?

PIERROT: Jerniquenne ! je veux que tu m’aimes.

CHARLOTTE: Est-ce que je ne t’aime pas ?

PIERROT: Non, tu ne m’aimes pas; et si, je fais tout ce que je pis pour ça: je t’achète, sans reproche, des rubans à tous les marciers qui passont; je me romps le cou à t’aller denicher des marles; je fais jouer pour toi les vielleux quand ce vient ta feste; et tout ça, comme si je me frappais la teste contre un mur. Vois-tu, ça ni biau ni honneste de n’aimer pas les gens qui nous aimont.

CHARLOTTE: Mais, mon guieu, je t’aime aussi.

PIERROT: Oui, tu m’aimes d’une belle deguaine !

CHARLOTTE: Quement veux-tu donc qu’on fasse ?

PIERROT: Je veux que l’en fasse comme l’en fait quand l’en aime comme il faut.

CHARLOTTE: Ne t’aimé-je pas aussi comme il faut ?

PIERROT: Non: quand ça est, ça se voit, et l’en fait mille petites singeries aux personnes quand on les aime du bon du cœur. Regarde la grosse Thomasse, comme elle est assotée du jeune Robain: alle est toujou autour de li à l’agacer, et ne le laisse jamais en repos; toujou al li fait queuque niche ou li baille quelque taloche en passant; et l’autre jour qu’il estait assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit choir tout de son long par tarre. Jarni ! vlà où l’en voit les gens qui aimont; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t’es toujou là comme eune vraie souche de bois; et je passerais vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerais pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventrequenne ! ça n’est pas bian, après tout, et t’es trop froide pour les gens.

CHARLOTTE: Que veux-tu que j’y fasse ? c’est mon himeur, et je ne me pis refondre.

PIERROT: Ignia himeur qui quienne. Quand en a de l’amiquié pour les personnes, l’an en baille toujou queuque petite signifiance.

CHARLOTTE: Enfin je t’aime tout autant que je pis, et si tu n’es pas content de ça, tu n’as qu’à en aimer queuque autre.

PIERROT: Eh bien ! vlà pas mon compte. Testigué ! Si tu m’aimais, me dirais-tu ça ?

CHARLOTTE: Pourquoi me viens-tu aussi tarabuster l’esprit ?

PIERROT: Morqué ! queu mal te fais-je ? Je ne te demande qu’un peu d’amiquié.

CHARLOTTE: Eh bian ! laisse faire aussi, et ne me presse point tant. Peut-être que ça viendra tout d’un coup sans y songer.

PIERROT: Touche donc là, Charlotte.

CHARLOTTE: Eh bien ! quien.

PIERROT: Promets-moi donc que tu tâcheras de m’aimer davantage.

CHARLOTTE: J’y ferai tout ce que je pourrai, mais il faut que ça vienne de lui-même. Pierrot, est-ce là ce Monsieur ?

PIERROT: Oui, le vlà.

CHARLOTTE: Ah ! mon quieu, qu’il est genti, et que ç’aurait été dommage qu’il eût esté nayé !

PIERROT: Je revians tout à l’heure. Je m’en vas boire chopaine, pour me rebouter tant soit peu de la fatigue que j’ais eue.

ACTE II, Scène première

Dom Juan ou le Festin de pierre écrit par Molière sous la protection de Louis XIV

La pièce de Théâtre Dom Juan ou le Festin de pierre par Molière



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/