Enfin les dieux bénins ont exaucé mes cris

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Enfin les dieux bénins ont exaucé mes cris !
La beauté qui me blesse, et qui tient mes esprits
En langueur continue,
Languit dedans un lit d’un mal plein de rigueur,
Son beau teint devient pâle, et sa jeune vigueur
Peu à peu diminue.

Plus grand heur en ce temps ne pouvait m’advenir,
Une heure en son logis on ne l’eût su tenir,
Elle eût fait cent voyages,
Aux festins, aux pardons d’un et d’autre côté,


Et chacun de ses pas au coeur m’eût enfanté
Mille jalouses rages.

Pour le moins tant de jours qu’au lit elle sera
Nonchalante de soi, ma frayeur cessera.
Car ceux qui me font crainte
D’approcher de son lit n’auront pas le pouvoir,
Et peut-être le temps qu’ils seront sans la voir
Rendra leur flamme éteinte.

Mais, las ! une autre peur va mon coeur désolant,
Je vois qu’elle affaiblit, et son mal violent
D’heure en heure prend âme,
La force lui défaut à si grande douleur,
Les roses de son teint n’ont pas tant de couleur,
Ni ses yeux tant de flamme.

Eh bien elle mourra, m’en faut-il tourmenter ?
Rien de mieux en ce temps je ne puis souhaiter :
Car s’elle m’est ravie,
Et que pour tout jamais son oeil me soit couvert,
Mon coeur à tant d’ennuis ne sera plus ouvert,
Sa mort sera ma vie.

Je n’aurai plus l’esprit de fureurs embrasé,
Mon lit ne sera plus si souvent arrosé,
Et la nuit solitaire
Ne m’orra tant de fois les hauts cieux blasphémer,
Ni la loi des destins qui me force d’aimer,
Quand moins je le veux faire.

Si tôt que son beau corps sera froid et transi,
Sur le point de sa mort je veux mourir aussi,
La sentence est donnée,
Car ma vie à l’instant de regret finira,
Ou par glaive ou poison du corps se bannira
Mon âme infortunée.

Avec ce dernier acte à tous je ferai voir
Que moi seul en vivant méritais de l’avoir
Pour mon amour fidèle :
Car de tant de muguets, qui l’aiment feintement,
Je suis sûr que pas un, fors que moi seulement,
Ne se tuera pour elle.

Tous mes maux prendront cesse en ce commun trépas,
Je ne douterai plus que jamais ici bas
Son coeur de moi s’étrange :
Et j’aime trop mieux voir notre mort arriver
Que, si vivants tous deux, je m’en voyais priver
Par un malheureux change.

Ô Mort, hâte-toi donc ! fais ce coup glorieux,
Et de ton voile obscur couvre les plus beaux yeux
Que jamais fît Nature.
Sépare un clair esprit d’un corps parfait et beau,
Tu mettras avec elle Amour et son flambeau
Dedans la sépulture.

Las ! en parlant ainsi, je sens soudainement
Un spasme, une faiblesse, un morne étonnement,
Qui pâlit mon visage,
Ma langue s’engourdit, mes yeux sont pleins d’horreur,
Puis en moi revenu, dépitant ma fureur,
De ces mots je m’outrage :

Ô méchant que je suis, ingrat et malheureux !
Je ne mérite pas d’être dit amoureux,
J’ai l’âme trop cruelle :
Chacun veut de sa dame allonger le destin,
Et moi je fais des voeux pour avancer la fin,
D’une qui m’est si belle.

Il faut bien que la rage ait pouvoir dedans moi,
Et que le troublement, qui me donne la loi,
Soit d’une étrange sorte,
Quand vivant tout en vous, ô mon mal bien-aimé !
N’ayant jour que de vous, par vous seule animé,
Je vous souhaite morte.

Mais plutôt les hauts cieux et tous les éléments
Soient remis pêle-mêle en confus brouillements,
Le sec avec l’humide,
Puissent tous les humains sans remède finir,
Ains que je voie hélas ! votre mort advenir,
Ô ma belle homicide !

Il est vrai que pour vous j’ai beaucoup enduré,
J’ai porté le regard et l’esprit égaré,
J’ai eu la couleur sombre,
J’ai pleuré, j’ai crié, mais souvent sans raison :
Car j’étais si troublé de jalouse poison
Que je craignais mon ombre.

Puis quand tous ces soucis pour vous m’iraient suivant,
Encore aux ennemis on pardonne souvent,
Quand leur fin est prochaine.
Joint qu’un trait de vos yeux doucement élancé,
Et vos propos si doux m’ont trop récompensé
De tant et tant de peine.

Ô dieux, qui d’ici-bas les destins gouvernez,
Et qui des suppliants les malheurs détournez,
Oyez ce que je prie !
Rendez saine Madame avec un prompt secours,
Et s’il en est besoin, retranchez de mes jours
Pour allonger sa vie.

Et toi, Dieu Cynthien, qui fais tout respirer,
Si dès mes jeunes ans on m’a vu t’adorer,
Viens alléger Madame ;
Chasse au loin sa langueur, rends-lui son teint vermeil,
Soleil, tu aideras à cet autre Soleil
Qui éclaire en mon âme.

 

Textes poétiques

Philippe Desportes



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