Montait loin sa douleur sourde en les râles longs :
Voix de genèse, Amour et Trépas, ô pleurs longs !
Un soir l’Orgue montait dans l’horreur des Violons…
Horreur ! la Terre pleure, et, grande Trisaïeule,
Par la vulve et l’ovaire aux ouvraisons de gueule
Ainsi qu’une en gésine appelle et meugle seule :
Horreur ! la Terre pleure et pousse, en sa Terreur,
Son sein de glaise rouge et l’immense dièse
De la genèse en pleurs qui la saigne et la lèse :
Horreur ! la Mère pleure et du Tout la genèse
Dans le noir a vagi le grand et premier pleur :
Horreur ! la Terre a mis au monde ; et, pris de peur,
Le noir ivre – sonnez ! – ulule à voix mauvaise :
Dans l’Inouï sonnez ! ô vous que rien n’apaise,
Sonnez, horreurs du noir et dièse vainqueur !…
Sang des dièses ! le Vague en musique ruisselle
Sourde ou mélodieuse, et pleure, universelle,
Dans le spasme ou le spleen l’angoisse de mamelle,
Quand hurle l’aise large ou meugle d’inespoir :
Sang des dièses ! le Vague, eau de voix noire et pâle,
Voix de gorge se pâme; et, hors du sexe mâle,
Le pollen doux et rauque et qui de Tout s’exhale
Hurle un péan d’amour et de mâle vouloir :
Sang des dièses ! l’Amour hurle son péan noir
Dans le noir qui – sonnez ! – ulule au large et râle :
Dans l’inouï sonnez, ô rauqueur animale,
Plaisir aigu qui pleure aux serres du pouvoir !…
Vide et Trépas ! du Tout pleure au loin la nénie :
A la Terre au sein noir l’âme du Vague unie
Doloroso s’éplore : et le pleur de la pluie,
Vide et trépas ! haut darde, et sous l’ire du nord
Troue, hélas ! de grands Trous et des mares navrées,
Des mares et des mers aux immenses marées
Montant : A Toi, Nihil ! ô vainqueur des durées,
A Toi gloire ! ô Tueur sans aise et sans remords !
Vide et Trépas ! la mer ample, en l’ire qui mord,
A des sourdeurs – sonnez ! – de gorges éplorées :
Dans l’Inouî sonnez ! ô voix enlangourées !
Ô noir primordial et soupirs sans essor !…
Oh pleurez ! longues voix, sourdes voix, voix des larmes !
Voix du monde qui saigne et qu’aux ivresses d’armes
Traverse, pâle et noir, le long peuple en alarmes
Des dièses de l’orgue et des âpres Violons !
Oh pleurez ! longues voix de la lèvre animale :
Rien ne vaut la douleur et le plaisir qui râle ;
Rien ne vaut l’orgue sourd et l’émoi qui s’exhale
Apre et rauque, et damné, des Violons noirs et longs :
Un soir l’Orgue d’église aux spasmes des Violons
Montait loin sa douleur sourde en les râles longs :
Voix de genèse, Amour et Trépas, ô pleurs longs !
Un soir l’Orgue montait dans l’horreur des Violons…
Un poème de René Ghil