Quand chassés, sans retour, des temples vénérables,
Tordus au vent de feu qui soufflait du Thabor,
Les grands olympiens étaient si misérables
Que les petits enfants tiraient leur barbe d’or ;
Durant ces jours d’angoisse où la terre étonnée
Portait, comme un fardeau, l’écroulement des cieux,
Un seul homme, debout contre la destinée,
Osa, dans leur détresse, avoir pitié des dieux.
C’était un large front, – un empereur, – un sage,
Assez haut sur son trône et sur sa volonté
Pour arrêter du doigt tout un siècle au passage,
Et donner son mot d’ordre à la divinité.
Or, un soir qu’il marchait avec ses capitaines,
Incliné sous ce poids de l’avenir humain,
Il aperçut, au fond des brumes incertaines,
Un vieux temple isolé, sur le bord d’un chemin ;
Un vieux temple isolé, plein de mornes visages,
Un de ces noirs débris, au souvenir amer,
Qui dorment échoués sur la grève des âges,
Quand les religions baissent comme la mer.
Le seuil croulait ; la pluie avait rongé la porte ;
Toute la lune entrait par les toits crevassés.
Au milieu de la route, il quitta son escorte,
Et s’avança, pensif, au long des murs glacés.
Les colonnes de marbre, à ses pieds, abattues,
Jonchaient de toutes parts les pavés précieux ;
L’herbe haute montait au ventre des statues,
Des cigognes rêvaient sur l’épaule des dieux.
Parfois, dans le silence, éclatait un bruit d’aile,
On entendait, au loin, comme un frisson courir ;
Et, sur les grands vaincus penchant son front fidèle,
Phoebé, froide comme eux, les regardait mourir.
Et comme il restait là, perdu dans ses pensées,
Des profondeurs du temple il vit se détacher,
Avec un bruit confus de plaintes cadencées,
Une lueur tremblante et qui semblait marcher.
Cela se rapprochait et sonnait sur les dalles.
C’était un grand vieillard qui pleurait en chemin,
Courbé, maigre, en haillons, et traînant ses sandales,
Une tiare au front, une lampe à la main.
Il cachait sous sa robe une blanche colombe ;
Dernier prêtre des dieux, il apportait encor
Sur le dernier autel la dernière hécatombe…
Et l’empereur pleura, – car son rêve était mort !
Il pleura, jusqu’au jour, sous cette voûte noire.
Tu souriais, ô Christ, dans ton paradis bleu,
Tes chérubins chantaient sur des harpes d’ivoire,
Tes anges secouaient leurs six ailes de feu !
Et du morne empyrée insultant la détresse,
Comme au bord d’un grand lac aux flots étincelants,
Dans le lait lumineux perdu par la déesse,
Tes martyrs couronnés lavaient leurs pieds sanglants !
Tu régnais, sans partage, au ciel et sur la terre ;
Ta croix couvrait le monde et montait au milieu ;
Tout, devant ton regard, tremblait, – jusqu’à ta mère,
Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.
Mais tu ne savais pas le mot des destinées,
Ô toi qui triomphais, près de l’Olympe mort ;
Vois : c’est le même gouffre… avant deux mille années,
Ton ciel y descendra, – sans le combler encor !
Tu connaîtras aussi, ployé sous l’anathème,
La désaffection des peuples et des rois,
Si pauvre et si perdu que tu n’auras plus même,
Pour t’y coucher en paix, la largeur de ta croix !
Ton dernier temple, ô Christ, est froid comme une tombe ;
Ta porte n’ouvre plus sur le vaste avenir ;
Voilà que le jour baisse et qu’on entend venir
Le vieux prêtre courbé, qui porte une colombe !
Poète Louis Bouilhet