Le Petit patriote

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À M.-E. Morrier

Un régiment anglais marchait sur Saint-Eustache,
Où Chénier, insurgé sans peur comme sans tache,
Retranché dans l’église avec cent paroissiens,
Soldats improvisés dignes des temps anciens,
Attendait, l’arme au poing, l’approche de Colborne.

 


Sous la bise, au milieu d’une campagne morne
Que naguère animaient de joyeux moissonneurs,
Les fantassins, drapeaux en tête, ricaneurs,
Enchantés de semer devant eux l’épouvante,
S’avançaient en colonne, et la masse mouvante
Du sombre défile semblait, dans le lointain
Qu’ensanglantaient les feux du soleil du matin,
Un long troupeau de loups en quête de pâture.

Sur un fougueux pur sang, élégante monture
Qui blanchissait le mors d’une écume d’argent,
Colborne, dans le fond de son âme rageant,
Fier, tourné sur l’arçon, une main vers la croupe,
Voltait de gauche à droite aux côtés de sa troupe,
Jetant à tout moment un juron aux traînards.
Souvent, parmi les toits des pauvres campagnards,
Dans des champs que le flot de la neige submerge,
Il en désignait un du bout de sa flamberge,
Et, le marquant ainsi par son geste, jurait
Que, le combat fini, la torche y passerait.
Quelquefois, se dressant vivement sur la selle,
Vers le couchant neigeux il braquait sa jumelle,
Cherchant s’il ne verrait émerger, à travers
Quelques touffes de pins dont les fronts toujours verts
Tranchaient sur la blancheur morne du paysage,
La flèche des clochers du plus proche village,
Qui maintenant devaient ― dernier appel perdu ―
Jeter au vent les cris du tocsin éperdu.

Tout à coup, au moment où les premières files
Longeaient un grand bosquet d’arbres servant d’asiles,
Durant les jours brûlants, à d’opulents troupeaux,
Le régiment fit halte.
                               En avant des drapeaux,
Trois chemins, se croisant sur la neige sans borne,
Venaient d’arrêter là le sinistre Colborne
Qui, décontenancé, sentant son cœur transir,
Pestait de ne savoir quelle route choisir.
Comme un fauve égaré qui chercherait son antre,
Il allait cependant prendre celle du centre,
Quand soudain, entr’ouvrant de lourds rameaux glacés
Qui le cachaient aux yeux des troupiers harassés,
Un petit paysan, à l’œil vif et sagace,
Qui portait en sautoir un long fusil de chasse
Et ne soupçonnait rien de ce qui se passait,
Déboucha d’un hallier où le vent mugissait
Et tomba près du chef de la troupe hésitante.
À l’aspect des soldats, l’enfant recule et tente,
Dans un affolement de jeune faon surpris,
De fuir et de rentrer sous les grands ormes gris…
Mais, Colborne, piquant de l’éperon sa bête,
Lui barre le passage et brusquement l’arrête ;
Puis, faisant aussitôt tourner son sabre nu
Sur le front du petit braconnier inconnu
Dont le regard sur lui farouchement s’attache :

― Montre-moi le chemin qui mène à Saint-Eustache,
Clame-t-il en français et d’une voix sans nom
Oh semble tressaillir la clameur du canon.

Pour réponse l’enfant, muet, baissa la tête,
Avec l’air renfrogné de quelqu’un qui s’entête.

― Réponds, petit lourdaud ! réponds, affreux gamin !
Montre-moi le chemin ! montre-moi le chemin…
Ou sinon, foi d’Anglais ! pour punir ton audace,
Je te passe mon sabre à travers la carcasse !

L’enfant, dont pas un seul muscle ne remuait,
Le front toujours baissé, restait toujours muet.

Colborne, sûr qu’un rustre aussi crâne et tenace
Ne céderait jamais devant une menace,
Et sûr qu’il le ferait parler en le tentant,
― En face de l’appât il en succombe tant ! ―
Entr’ouvrit sa capote aux basques galonnées,
De son gousset tira vivement deux guinées,
Et, lui tendant cet or qui brillait dans sa main :

― C’est à toi, si tu veux m’indiquer le chemin…
 
À cette offre, l’enfant eut un sursaut de rage,
Et, secouant son front cravaché par l’outrage,
Tourné, les poings crispés, du côté des soldats,
Tragique, répondit :
                           ― C’était bon pour Judas !

 



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