Navrure de ses Yeux son âme ne sourd plus,
De ses Yeux inlassés la Vieille aux os de pierre
Morne et roide regarde : et sa voix de prière
Très aigre, égrène au soir les avés des élus.A mesure qu’elle a, – spleen des angles rigides –
Sur elle plus uni ses deux mains aux longs os,
Sans pardon, hors du gel de ses deux Yeux algides
Tout a passé, par peur de leurs grands miroirs vides, –
Hivers haut enlunés de lune sur les eaux !…..
Ayant salon, les soirs, – rire et Thé dans la veille
Tièdie, et, plumes, quand il neige dans les gels, –
Aux Yeux de Tous l’adore, et, sur sa Tempe vieille
Onde un peu ses poils gris, la molle Non-pareille
Qui Mère-grand l’appelle, et plus doux que les miels :
Mais haut assise, et roide, elle n’ouït pas, et, noire
Sans une lueur d’or, ou, ris de mère-grand,
Un remugle de rose, ainsi qu’une mémoire
Très vieille, elle pourpense : et de ses Yeux sans gloire
Gèle en les Yeux pleins d’heur lis ou rose d’amant.
Vont alors une gêne et des peurs : et l’Aïeule
Tranquille, sphinx amer aux deux grands Yeux mauvais,
Sous la lumière règne, et non lasse et non veule :
L’Aïeule qui les voit, et qui prie, âpre et seule, –
Tout un murmure dur de lèvres et d’avès !….
Si, roide ainsi, sur Tous elle n’ouvre pas, – lunes
Roides, – ses Yeux ! rêve a-t-elle que, leurs amours,
Des mépris d’elle vont, et des rires, des Unes
Aux Uns, pour sa vieillesse : et, pâleurs des lagunes
Où des roseaux, elle ouvre ainsi ses deux Yeux gourds…
Mais du dormir, adieux ! quand l’heure sonne – veille
Tièdie ! – après avoir suivi le dernier dos,
Vont, lors, dans les sommeils, les Yeux : et, lors, merveille
Haut, parle en elle-même, en le gel d’air et d’eaux,
La neige seule et pâle, à des plumes pareille…..
Dans le suaire des draps, en le noir où respire
Des ruines la girie et vont de vieux ahans,
L’Aïeule mal sommeille : et, sans lampe, – sourire,
Ô rides ! doux sur vous, – le Noir vivant empire,
Marée ample des mers sous la pluie en suspens.
Oh ! dormez sans soupirs, et que, doux, vous rerie
Un vieux rêve, ô Vieillie et Passée ! et, – la, do,
Sol, do, do, – de Tonka, glauque odeur de prairie,
De géranium, d’orange, et de roses où prie
La langueur des Yasmins, – qu’une Odeur plane haut
Sur vos Yeux soleilleux d’un soleil doux et monde !…..
Mais un rien – sur les eaux ride d’air large – sur
Tout elle a long passé, pareil aux lueurs d’onde
Molles à mourir : et, des reins, haut a du monde
Des grands sommeils surgi l’Aïeule au regard dur.
Mais, sur elle a passé, tout le long, large et grêle,
De ses vieux os, un rien, ride d’air sur les eaux
Tranquilles : et, l’Aïeule ayant l’idée en elle,
Tressaille et ne voit qui de sa vieille mamelle
Haut de même a pu rire, et de ses pauvres os !…
Un poème de René Ghil